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Sunday, August 21, 2022

Analyse de quelques bijoux berbères du Maroc

 Quelques spécimens de bijoux berbères du Maroc


Voici quelques beaux spécimens de bijoux berbères trouvés chez un antiquaire joaillier d’Agadir. Il y en a des centaines, mais le propriétaire du magasin m’a gentiment autorisé à photographier quelques exemplaires pour en permettre l’analyse.

 

Parure en argent nº1

La caractéristique de l’orfèvrerie berbère est de toujours être en argent. L’argent est un métal lunaire. Dans la symbolique amazighe, ce métal est donc conforme à être un élément de la parure féminine, où chaque détail semble célébrer la procréation.

  • Sur ce spécimen de la parure, on notera que la chaînette reliant les deux fibules, est en 5 morceaux.  Le 5 [khamsa] est un apport phénicien de bonne chance, symbolisé par les cinq doigts de la main.
  • Ces deux fibules sont dites en oméga. La forme triangulaire (porteuse donc du chiffre trois) est celle d’un triangle renversé, celui de l’eau, figurant la matrice procréatrice.
  • Les graines que l’on voit, rappellent cet élément de semence créatrice.

La parure s’accroche de chaque côté de la poitrine. Le collier qui complète cet ensemble revêt, lui aussi, une signification implicite. Il est tout d’abord composé de boules en forme d’olives. Il s’agit d’un vieux symbole méditerranéen antique. L’olive est à la fois un fruit et une huile - matière et liquide. C’est donc un signe de sécurité alimentaire, et par extension un signe de prospérité. 

Mais on remarque également que ce collier est double, vraisemblablement pour marquer la dualité vitale. 

L’alignement des “olives” se fait d’abord de manière identique : 1 + 2 ; chaque rangée porte ensuite un nombre de boules différent :

  • Le collier intérieur a neuf “olives”,
  • Le collier extérieur en a douze.

On peut interpréter ceci comme étant une valorisation du mariage, où le chiffre impair intérieur (9) symbolise le principe féminin, tandis que le nombre pair extérieur (12) est celui du principe masculin. 


Fibule en oméga (nº1)

Cette fibule en oméga (nº1) a vraisemblablement la caractéristique d’avoir été “islamisée”. 

Le décor berbère original a toujours des formes strictement géométriques.

Or, sur cet exemplaire de fibule en oméga, on remarque deux caractéristiques :

  • L’une est la prolifération des arabesques à l’intérieur  du triangle renversé,
  • La seconde est l’ajout d’une sorte de col, semblant être à l’effigie d’un fruit, peut-être une pomme.


Mais si l’on regarde bien les formes du décor intérieur en volutes, on s’aperçoit qu’il est à l’effigie de ce que nous avons coutume d’appeler arbitrairement “l’étoile berbère”, composée d’une crois en [X] à laquelle s’ajoute un trait horizontal [—], formant ainsi une étoile à six branches.

                                                          Ce signe est récurrent dans le Tamazgha (monde  berbère).


Fibule en oméga (nº2)
à trois dents


Cette seconde fibule en oméga (nº2) a un style purement berbère, avec pourtant l’ajout central d’un verretaillé en forme de pierre précieuse. 

Cette fibule se distingue par l’ajout de trois triangles latéraux et se termine par un petit triangle inférieur. C’est peut-être le signe d’une naissance.

Le chiffre trois correspond universellement comme étant celui d’un accompli. De manière plus prosaïque, il correspond au premier signe d’un accomplissement familial avec la naissance du premier enfant.






La fibule nº2 est l’élément d’une parure plus élaborée que l’on peut admirer sur le cliché suivant : 


Fibule nº2 sur sa parure


Les deux bracelets présentés sur la photo suivante sont véritablement atypiques. Ils proviennent de la ville côtière d’Essaouira, l’ancienne Mogador des Portugais. Entre le VIIe et le IIIe siècle avant  notre ère, les Phéniciens y avaient établis un comptoir pour le commerce de la pourpre (îles Purpuraires, au large de la

Bracelets effigiques d'Essaouira

côte). C’était également une communauté berbère à l’époque de Juba II (env.48 av.J.-C. - 23 ap. J.-C). Plus tard, il y a eu aussi ici une importante communauté juive. Quand on sait que ce sont souvent des orfèvres juifs qui étaient bijoutiers, ces trois facteurs (phénicien/berbère/juif) semblent donc se retrouver dans ce magnifique bracelet d’argent.

La sobriété de cet anneau met en relief l’originalité et la forme qu’il révèle :

  • La main khamsa unique, au centre d’un double rectangle, met d’emblée l’accent sur la providence.
  • Le deuxième signe distinctif est celui des quatre têtes de serpents.

Que peut-on donc dire sur la combinaison de ces éléments?

Tout d’abord, on sait que le serpent est un symbole chthonien de fertilité. Il a le pouvoir de muer et de changer de peau. On note que les quatre têtes se situent de chaque côté d’un double rectangle indiquant une bipolarité. Le quadrilatère intérieur est recouvert d’écailles, rappelant celles du serpent, mais pouvant se fondre en graines dans un champ fraîchement labouré. Cette idée de fertilité champêtre est rappelé par une sorte de tatouage figurant au dos de la main. Or cette sorte d’échiquier est un symbole du champ labouré dans la symbolique berbère. On le retrouve très souvent dans le décor de la poterie, par exemple, ou encore sur les décors muraux. 

On peut donc décrire ce bracelet comme étant un porte-bonheur pour solliciter le bien-être et la prospérité familiale, sachant que dans la tradition, la femme berbère est la gardienne du foyer.


Christian Sorand

 



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