Nourri
depuis la jeunesse par ces écrits parfois extraordinaires, mais
toujours fascinants et empreints d'exotisme, la vie et mon métier,
comme un goût profond pour l'aventure et la découverte du monde,
ont fait que j'ai presque suivi à la trace de chacun d'entre eux. De
l'Afrique à Bornéo, de l'Amérique du Nord à l'Océanie, j'ai eu
la chance de parcourir des contrées sauvages et recluses, parmi les
plus diverses : l'île d'Aran en Irlande, le Hoggar et le
Tassili n'Ajjer au Sahara, le désert d'Arabie, le Tibet et le
Bhoutan, la grande forêt de Bornéo, les îles de l'archipel
indonésien, le désert australien ou plus récemment encore
l'Amérique du Sud.
I
– Les Écrivains Voyageurs francophones et anglophones
« Là,
tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe,
calme et volupté. »
L'Invitation
au Voyage,
Charles
Baudelaire (1821-1867)
|
Il
est des écrivains avec lesquels on partage une certaine affinité.
Alors, quand on est soi-même enfant du voyage, ceux que l'on
surnomme les écrivains voyageurs
ne peuvent qu'avoir un attrait tout particulier de par de leur
témoignage de lieux prodigieux dont notre bonne vieille planète
nous a fait don pour le plus grand plaisir du cœur et des yeux.
|
Jules Verne |
La
longue série des Voyages extraordinaires
de Jules Verne
(1828-1905) fut sans doûte un élément précurseur. Outre Le
Tour du Monde en quatre-vingts Jours, ou Cinq
Semaines en Ballon (traversée de l'Afrique
d'ouest en est), Verne nous fait explorer d'autres continents :
l'Amérique du Sud, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Pacifique
(Les Enfants du Capitaine Grant,
L'École des Robinsons,
Deux Ans de Vacances).
Puis, il nous entraîne aussi en Russie (Michel
Strogoff), dans les Carpathes (Le
Château des Carpathes), en Islande (Voyage
au Centre de la Terre), en Afrique du Sud
(L'Étoile du Sud),
sur l'Amazone (Le Jangada)
et l'Orénoque (Le Superbe Orénoque),
au Canada (Le Pays des Fourrures).
De surcroit, ce voyageur romancier infatigable a lancé l'idée de
l'exploration des mers et des océans avant l'invention du sous-marin
nucléaire ou les équipées d'un Jean-Yves Cousteau (Vingt-mille
lieues sous les Mers, L'Ile mystérieuse) ;
père de la science-fiction, il a annoncé la conquête de l'espace
avant même que l'Homme ait pu songer à marcher un jour sur la Lune
(De la Terre à la Lune,
Autour de la Lune), et
ce, avec une précision renversante. Un jardin de la ville de Tampa,
en Floride, commémore sur une plaque en bronze cette villégiature
du Golfe du Mexique choisie pour mettre le vaisseau spatial sur
orbite. Or, Cap Kennedy se trouve de l'autre côté de l'isthme, sur
la côte Atlantique !
|
Loti peint par Rousseau |
Il
y a eu aussi Pierre Loti (1850-1923).
Éminant navigateur au long cours, il nous fait découvrir Tahiti (Le
Mariage de Loti, 1880, à l'origine de son
pseudonyme littéraire), le Japon (Madame
Chrysanthème,
1887), l'Islande (Pêcheur
d'Islande,
1886), le Sénégal (Le
Roman d'un Spahi,
1881), et surtout Constantinople (Aziyadé,
1879 ; Les Désenchantées,
1906), tant et si bien que le
Café Pierre Loti
à Istanbul
est devenu un
|
Café Loti à Istanbul |
lieu célèbre du Bosphore. Cet Orient que Loti
continue à arpenter d'Ispahan (Vers Ispahan,
1903) à Pékin (Les
Derniers Jours de Pékin,
1900), en passant par l'Inde (L'Inde,
1903) et Angkor (Un
pèlerin d'Angkor,
1912). A moindre distance, il a également
écrit sur le Pays Basque (Ramuntcho,
1897), le Maroc (Au
Maroc, 1890) ou les côtes de l'Adriatique
(Voyage au Monténégro, 1891).
Parmi
les précurseurs, chantres des horizons lointains, on pense également
aux trois poètes surréalistes français de Montévidéo :
Lautréamont
(1846-1870) (Chants de Maldoror),
Jules Laforgue
(1860-1887) et Jules Supervielle
(1884-1960) (Débarcadères,
L'Homme de la Pampa).
|
A. de Saint Exupéry |
Au
tout début de l'aviation, il y a eut bien sûr Antoine
de Saint Éxupéry (1900-1944), aviateur,
poète et romancier, célèbre pour Le Petit
Prince, nous a fait découvrir le Sahara et
les Andes (Terre des Hommes,
Vol de Nuit) aux côtés
des autres héros de l'Aéropostale : Jean Mermoz, Henri
Guillaumet, Roland Garros... Il faudrait également mentionner Joseph
Kessel (1898-1979), lui-même aviateur de
l'Aéropostale à ses débuts (Vent de Sable,
1929), et ami de Jean Mermoz dont il écrira la biographie dans un
livre éponyme (Mermoz, 1938).
Journaliste, résistant, pilote, c'est un grand voyageur par
excellence, témoin de l'indépendance irlandaise (Mary
de Cork, 1925) et de la naissance de l'État
d'Israël (Terre d'Amour de de Feu,
1948). D'Afrique (Au Grand Socco,
1952 et Le Lion,
1958), ses voyages le conduisent en Birmanie (La
Vallée des Rubis, 1955), en Afghanistan (Les
Cavaliers, 1967), en Extrême-Orient (La
Rose de Java, 1937 et Hong-Kong
et Macao, 1957) ainsi que dans le
Nouveau-Monde (Dames de Californie,
1929) étant lui-même né en Argentine de parents émigrés russes.
|
Julien Green |
On
connaît moins l'académicien Julien Green
(1900-1998), franco-américain de parents sudistes établis en France
depuis 1893. Son univers évoque le Vieux Sud américain : la
Virginie (Moïra), la
Géorgie maternelle (Terre Lointaine),
dans la moiteur parfumée de Savannah, « une ville qui meurt
tout doucement de mélancolie dans ses ombres et ses parfums. »
Henry
de Monfreid (1879-1974), écrivain
aventurier, nous transporte en mer Rouge et en Éthiopie (Les
Secrets de la mer Rouge). Paul
Morand (1888-1976), diplomate académicien,
met en scène les villes du monde (Le
Flagellant de Séville, Le
Prisonnier de Cintra). Londres, Paris, New
York, Bucarest, Venise, deviennent autant d'escales parsemant son
univers.
Puis
il y a eu la fascination de l'Orient racontée par André
Malraux
(1901-1976) : le Cambodge des
|
André Malraux |
Khmers dans La
Voie Royale (1930), la Chine, dans Les
Conquérants (1925) et La
Condition Humaine, prix Goncourt (1933) ;
des pages et des descriptions de Kyotô, au Japon dont il appréciait
le raffinement de l'art. Son engagement politique le conduira ensuite
vers l'Espagne (L'Espoir,
1937), à la même époque qu'Ernest Hemingway (Pour
Qui Sonne le Glas).
|
J-M Le Clézio |
Le
Sahara, désert des déserts, détient également une place
importante pour d'autres écrivains du voyage. Que ce soit celui
raconté pour Pierre Benoit
(1886-1962) dans L'Atlantide
(1919) ou par la trilogie romanesque de Roger
Frison-Roche (1906-1999) dans la
trilogie romanesque de La
Piste Oubliée (1950), La
Montagne aux Ecritures (1952)
et Le
Rendez-vous d'Essendilène
(1954). N'oublions pas Désert
(1980) de J-M Le Clézio (né
en 1940). Cette Afrique toujours que Le
Clézio connaît jusque dans ses moindres fibres, puisque, bien qu'il
soit né à Nice, il est lui-même issu d'une famille franco-anglaise
de l'île Maurice. Alors, il la racontera dans Le
Chercheur d'Or (1985), Onitsha
(1991), et L'Africain (2004).
Il
faudrait citer encore Pierre Boulle
(1912-1994),
né à Avignon, planteur en Malaisie ( Le
Sacrilège
|
Pierre Boulle |
malais, 1951), célèbre
surtout pour Le
Pont sur la Rivière Kwai (1952)
ou La
Planète des Singes (1963). Son
voisin du sud, Jack Thieuloy (1931-1996),
natif de Beaucaire, raconte à sa façon, un peu sulfureuse certes
mais si précise, L'Inde
des Grands Chemins
(1971), La
Passion indonésienne
(1985) ou La
Thaïlande et après ? (1994).
Comment passer outre le Suisse Blaise Cendrars
(1887-1961) avec L'Or
(1925) décrivant la découverte du minerai à Sacramento, en
Californie. Nicolas Bouvier (1929-1998),
autre citoyen de la Suisse romande nous a également entraînés
autour du globe dans une série d'ouvrages,
L'Usage
du Monde
(1963), puis de Ceylan au Japon, dans Le
Poisson-scorpion (1982), Les
Chroniques japonaises (1975), sans
oublier la Verte Érin dans Journal
d'Aran et d'autres lieux (1990).
|
A. David-Néel |
On
pourrait penser alors que ce domaine soit exclusivement réservé à
la gente masculine. Or on y trouve aussi quelques femmes
extraordinaires telle Alexandra David-Néel
(1868-1969) faisant découvrir au lecteur le Sikkim et le Tibet de
par ses nombreux ouvrages. Elle fut même la première femme
occidentale à pouvoir pénétrer à Lhassa en 1924 (Voyage
d'une Parisienne à Lhassa ,
1927) et à rencontrer le 13ème Dalaï-lama en 1912. Étonnante
Suissesse, Ella Maillart
(1903-1997) publie Oasis
interdites (2002) relatant son
|
Ella Maillart |
fabuleux périple de Pékin au Cachemire en 1935. Une autre
Suissesse, Isabelle Eberhardt (1877-1904),
explore l'Afrique du Nord qu'elle raconte (Yasmina,
1902 ; Au
Pays des Sables, 1925). Ironiquement,
elle meurtt à Aïn Sefra, dans le désert algérien, emportée par
les eaux d'un oued en crû. Quand on évoque ces dames du voyage, il
faut encore mentionner Marguerite Duras
(1914-1996) le Vietnam avec Un
Barrage contre le Pacifique (1950),
L'Amant
(1984), ou bien encore l'Inde dans Le
Vice-Consul (1966). Ces femmes ont su
prouver par leur courage et leurs audaces, que cet univers n'était
pas, ou plus, l'apanage masculin.
Citons
à présent les écrivains contemporains. Né à Orange en 1947, Jean
Echenoz publie L'Équipée
malaise (1986). Il
reçoit le prix Goncourt 1999 pour son roman Je
m'en vais dont le cadre se situe dans les
régions arctiques. Christophe Ono-Dit-Biot,
né en 1975
au Havre, journaliste au Point,
publie le roman Birmane,
qui reçoit le prix Interallié en 2007. Jean-Christophe
Rufin, né à Bourges en1952, est avant tout
médecin (l'un des fondateurs de 'Médecins Sans Frontières'), il
parcourt le monde pour des ONG en Afrique de l'Est, en Amérique
latine et dans les Balkans. Diplomate (attaché culturel au Brésil,
puis ambassadeur au Sénégal) ses voyages alimentent ses talents
d'écrivains. Il reçoit le prix Goncourt en 2001 pour Rouge
Brésil et est élu à l'Académie Française
en 2008. Dans L'Abyssin
(1997) et Les Causes perdues
(1999) il évoque l'Érytrée et l'Éthiopie, l'Afrique de l'Ouest
|
Daniel Rondeau |
dans Katiba (2010) et
le Brésil dans Rouge Brésil. Daniel
Rondeau
(né en 1948) est journaliste et diplomate, écrivain et éditeur
(Quai Voltaire). Ses romans et ses essais ne concernent pas seulement
le monde du voyage. Il a toutefois la particularité de s'intéresser
au bassin méditerranéen en s'efforcant de le raconter avec une
grande érudition au cours de plusieurs escales littéraires :
Tanger
(1987), Alexandrie
(1997), Istanbul
(2002), Carthage
(2008) et l'île de Malte dont il a été l'ambassadeur de France
(Malta Hanina,
2012).
Mais
il faudrait également ajouter à cette liste les scientifiques tels
Théodore Monod
(1902-200)
|
Claude Lévi-Strauss |
avec son povrage sur le Sahara (Les
Carnets de Théodore Monod, 1997), ou
encore l'anthropologue Claude Lévi-Strauss
(1908-2009) avec les études et réflexions de Tristes
Tropiques, 1955 ; La
Pensée sauvage, 1962 ; Race
et Culture, 1971; La
Voie de Masques, 1979). Georges
Dumézil (1898-1986), quant à lui, a passé
sa vie à remonter aux origines des langues indo-européennes.
Philologue et brillant linguiste (il parlait lui-même une bonne
trentaines de langues), il a ainsi écrit sur les mythologies et les
religions des peuples de l'Inde au monde occidental : Les
Dieux indo-européens (1952) ; les trois
ouvrages de Mythe et Epopée
(1968, 1971, 1973) ; Romans de Scythie et
d'alentour, (1978).
|
Hergé |
Bien que n'étant
pas considéré comme écrivain mais comme un des principaux
précurseurs de la BD, le dessinateur belge Hergé
(1907-1983)
se doit d'être mentionné. Son style est
riche et coloré, son langage teinté d'humour et toujours approprié.
Pointilleux dans ses dessins, il attribue au moindre détail, ou aux
mentions en langue étrangère, des références au monde réel des
lieux parcourus. Il a su, au même titre qu'un Jules Verne, faire
rêver des enfants et les entraîner dans une ronde d'aventures
autour du globe. En ignorant toute controverse à son sujet, il fut
probablement un précurseur de voyages : le Congo, l'Amérique,
la Russie, l'Europe de l'Est, l'Egypte, le Moyen- Orient, le Népal
et le Tibet, la Chine, les îles de la Sonde et l'Australie,
l'Amérique du Sud, tous les continents défilent au gré de Tintin
et de son chien, Milou, accompagnés de l'inséparable et truculent
Capitaine Haddock. A l'instar de Jules Verne, il nous a également
ouvert les frontières du monde sous-marin et de l'espace.
Certains
des auteurs mentionnés sont plus romanciers que voyageurs, mais la
plupart d'entre eux ont vécu ou voyagé sur des terres lointaines et
exotiques dont ils ont si bien rendu l'atmosphère. Bien avant que le
goût du voyage ne se démocratise, ils ont fait rêver et fantasmer
des générations de lecteurs avides de découvrir d'autres horizons
à la rencontre de cultures et de civilisations jusque là ignorées.
No comments:
Post a Comment