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LITTÉRATURE FRANCOPHONE: "Le voyage d'Octavio" de Miguel Bonnefoy

« Le Voyage d'Octavio » de Miguel Bonnefoy
Éditions Payot & Rivages, Paris 2015
ISBN:9-782743-634810

Ce premier roman est un véritable plaisir. Il laisse un goût amer d'amertume quand l'histoire se termine au chapitre 17. Poétique à souhait, il manie la langue française avec brio, laissant au lecteur la délectation des mots. Il entre de plain pied dans la tradition de l'écriture chevaleresque sud-américaine où l'imagination fait office de conte. Premier roman d'un franco-vénézuélien, né à Paris en 1986, et devenu professeur de français à l'Alliance Française de Caracas, on s'incline forcément sur la magie du langage de l'auteur, Miguel Bonnefoy. Ce « voyage » est à la fois initiatique et cyclique, restant cantonné à la topographie exotique du Vénézuela. Don Octavio en est le personnage principal. Type même de l'anti-héros, ce paysan analphabète nous fait découvrir la face cachée de ce pays dont il incarne l'âme au fil de ses pérégrinations.
Un livre à lire absolument en attendant les prochaines parution d'un jeune auteur prometteur.

Christian Sorand

Liens :
-"Le voyage d'Octavio"-Miguel Bonnefoy-Babelio 


EXTRAITS :
- « On crut au miracle. On utilisa la pulpe jaunie pour les infections, on fit sécher les zestes qu'on saupoudra sur les poissons et on purifia l'air avec l'acidité des huiles. On mélangea le citron au gingembre dans des marmites et on fit passer, porte après porte, à toutes les alcôves, avec un secours que deux mille ans de médecine n'avaient su offrir. En dix mois, on fit reculer dix ans de peste.
[…] C'est ainsi que la maison du vieux créole fut rasée et qu'on éleva une église aux murs de pierres et au parquet sali face au citronnier. On nomma l'église comme le village: Saint-Paul-du-Limon. » (Ch.1,p.9)

- « Personne n'apprend à dire qu'il ne sait ni lire ni écrire. Cela ne s'apprend pas. Cela se tient dans une profondeur qui n'a pas de structure, pas de jour. C'est une religion qui n'exige pas d'aveu.
Cependant, Don Octavio avait toujours gardé ce secret, creusé dans son poing, feignant une invalidité qui lui épargnait la honte. » (Ch.3, p.21)

- « C'était un cambrioleur délicat dont la politesse dans le vol était inimitable, pleine de remords et de drame. Banqueroutier, faussaire, saltimbanque, il avait été droguiste, empailleur, soudeur, marchand de fourrures. Il s'était rendu célèbre dans sa jeunesse en chinant dans les brocantes des tableaux poussiéreux, des livres apocryphes, des horloges sans valeur qu'il habillait d'anecdotes brillantes pour les revendre au prix fort. » (Ch.6, p.44)

- « Il pensa que la littérature ne pouvait pas ressembler à cette image éloignée des femmes. La litt´´rature devait tenir la plume comme une épée, mêlée à l'immense et tumultueuse communauté des hommes, dans une lutte obstinée pour défendre le droit de nommer, pétrie dans la même glaise, dans la même fange, dans la même absurdité que ceux qui la servent. Elle devait avoir les cheveux détachés, de l'héroïsme et des déchirures, une machette à la ceinture ou une escopette à l'épaule. La littérature devait aussi bien représenter ceux qui ne la lisent pas, pour exister comme l'ai et comme l'eau, et toujours autrement. » (Ch.8, p.61)

- « Don Octavio quitta le bidonville au milieu de la nuit. Il s'engagea sur la route de l'ouest, vers le ponant, dans un camion où des rosaires pendaient au rétroviseur, et s'arrêta sur un chantier autour de Maracay. » (Ch.10, p.69)

- « Un matin, il montra à un enfant comment s'écrivait son prénom avec un clou sur le sable. Le jardin était sauvage, tout bruissant de p´´tales dans l'air, aussi fins que des embruns, plein de broussailles en fleurs et de terre retournée. L'enfant avait été élevé au lait de vache et montra à Octavio comment il tétait directement à la mamelle, en se traînant dans les pâtures, sans affoler la bête. » (Ch.10, p.71)

- « La traversée du torrent laissa dans le bois se son cœur une marque inexplicable. Il ne voulut plus quitter la cabane. Il voulut au contraire servir ce maître invisible, fait d'écume et de remous, sentir la voix de cette solitude trouver écho dans la sienne. À partir de ce jour, de ville en ville, la rumeur se répandit qu'un géant faisait passer d'une rive à une autre, pour quelques victuailles, les voyageurs sur son dos. » (Ch.11, p.84)


@ Trait d'Union Magazine nº86, mai 2017

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