III - L'analyse symbolique en littérature
IV - Le Symbolisme dans l'architecture religieuse de Thaïlande
V - Le Symbolisme de la Pyramide
Le symbolisme de la verticalité mène assez logiquement à la fonction jouée par l’Arbre. En fait, il s’agit d’une forme de verticalité appartenant à la Nature. Cette considération engendre un mythe, celui de l’Arbre de Vie. En réalité, cette approche correspond à la conception de l’Axis mundi (l’axe du Monde).
Il faut donc analyser les symboles associés à l’image de l’Arbre. Ce dernier joue déjà un rôle significatif et bivalent dans la Genèse biblique. Cet arbre est double, car il est non seulement porteur de fruits (les pommes), mais il est aussi qualifié d’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Il représente donc le principe de la dualité terrestre. Parallèlement, cet arbre affiche aussi le concept de la trilogie, une sorte de perception cosmique de la Vie. L’image mythique du Jardin d’Éden représente cette ambivalence symbolique, où l’abstraction vient se greffer sous la forme d’un tableau, qui bien sûr est source d’inspiration artistique.
*L’arbre est tout d’abord associé à la symbolique du chiffre trois, clé de la plénitude terrestre. Il est issu de la terre nourricière. Il puise ses racines sous la terre, élève son tronc au dessus du sol et élève ses branches vers le ciel. Il relie donc trois mondes ésotériques: celui des morts, l’Hadès grec, la verticalité du monde des vivants et le cosmos par la multitude de ses branches tendues vers le ciel.
*À partir de là, il devient aussi un symbole de vie. Ses racines nourricières puisent leur énergie dans le giron de la Terre-Mère. Son tronc, où coule la sève, affiche la force et la stabilité. Enfin, l’exubérance de ses branches engendre une promesse de vie, porteuse de feuilles et parfois même de fruits. Dans la Genèse biblique, cet arbre est un pommier. Ainsi l’image générée par la scène met en place trois niveaux: l’invisible qui est le Créateur, le monde bipolaire des êtres humains au travers d’Adam et Ève, enfin l’espace naturel, lui aussi bipolaire: celui de la végétation (l’arbre fruitier) et du monde animal (le serpent). Cette vision stigmatise le souffle de la Création avant que l’Esprit vienne bouleverser cette sorte de pérennité idyllique.
*L’arbre illustre aussi la destinée humaine où la graine plantée sous terre s’épanouit à l’image d’une canopée ouverte au soleil et à la voûte céleste. Or, l’Homme s’identifie à l’arbre, à la fois en fonction de sa verticalité terrestre, mais aussi par la sève rappelant le sang vital.
*Plus encore, il est aussi l’union de quatre éléments: la terre, le bois, l’air et le feu du ciel, sans oublier qu’il procrée l’oxygène de l’air et qu’il participe au cycle des pluies.
Les premiers hommes ont appris à générer le feu à l‘aide de deux branches d’arbre frottées l’une contre l’autre. En Afrique, en Australie ou en Amérique du Sud, les peuples indigènes savent extraire l’eau de ce que l’on appelle parfois des “arbres bouteilles”
*De surcroit, l’arbre peut être un acteur majeur du monde animal, du serpent chthonien aux oiseaux célestes. Il est ainsi un symbole de protection. On s’abrite sous un arbre quand il pleut. Son ombre protège du soleil. Les oiseaux y font leurs nids comme certains rongeurs.
Bien évidemment l’arbre va être différent selon la latitude, le climat ou la zone géographique. En fait, il y a deux sortes d’arbres: ceux à feuilles caduques et ceux à feuilles persistantes. Il s’agit d’une autre forme de dualité qui va générer deux mythes distincts.
Le cyprès, dont la forme évoque un cierge sert souvent de décor aux cimetières du monde méditerranéen. Cet héritage nous vient des Grecs. Mais d’autres arbres dont les feuilles tombent à l’automne et reverdissent au printemps nous rappellent le mythe oriental d’Adonis [Ἄδωνις]: la graine plantée à l’automne et renaissant au printemps. Ce cycle a été repris par les Grecs dans le mythe de Perséphone [Περσεφόνη]. La trilogie sous-jacente du mythe met en scène Hadès [ᾍδης], roi du monde souterrain et Déméter [Δημήτηρ], déesse de l’agriculture et des moissons. Le cycle des saisons était au cœur des mystères d’Éleusis. Par ailleurs, le rite mortuaire occidental de l’enterrement dérive de cette tradition, promesse de vie éternelle des religions monothéistes. En Asie, l’incinération se fait sur des bûchers pour libérer le corps de son enveloppe terrestre afin de permettre l’envol de l’âme. Malgré ces divergences culturelles et religieuses, le rite humain de la mort est en réalité étroitement lié à l’arbre, soit sous la forme du cercueil, soit sous celle du bûcher. Par ailleurs, l’arbre est l’élément unifiant le bas et le haut, où s’ajoute une promesse de renouveau, autrement dit d’une renaissance, sous l’impulsion d’un cycle ternaire des saisons: l’automne (mort), l’hiver (gestation) et printemps (éclosion).
L’arbre joue un rôle essentiel dans la vie des hommes. On l’utilise pour la construction, pour la décoration, pour se loger, pour se chauffer. Il est indispensable à la Vie. L’un des enjeux majeurs de l’écologie d’aujourd’hui est de protéger les forêts et pas seulement les grandes forêts tropicales d’Amazonie, d’Afrique centrale ou de l’Asie du Sud-Est. L’arbre est donc nécessaire au monde des vivants. Dans son milieu naturel, il retient le sol en évitant les glissements de terrains et procure l’oxygène nécessaire à la vie terrestre.
Il n’y a donc qu’un pas à franchir pour qu’il devienne une entité spirituelle. Sa fonction symbolique est tout simplement universelle.
“La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles.”
- Charles Baudelaire -
L’arbre, dans son environnement naturel prend une fonction particulière. Mais dans une perspective terrestre, il demeure un élément symbolique associé au bâton, au pilier, à la poutre, à la croix, au totem, à la coque du navire et à toutes les autres fonctions liées à la vie des hommes.
1.Le Mythe de l’Arbre.
1.1.L’arbre de vie. Ce concept remonte à des temps immémoriaux. Il est à la fois profane et religieux. C’est en fait une représentation, parfois stylisée, d’un arbre. C’est un symbole vital car il relie trois mondes distincts. Parti du bas, il est enraciné dans le monde souterrain, celui des morts, puis s’élève dans le monde des vivants et s’épanouit dans une gerbe aérienne, tournée vers la voûte céleste. En réalité, il fait plus que relier le bas au haut. Il stigmatise le cours de la Vie. Sa force, sa longévité sont une promesse d’éternité et de renouveau, voire de réincarnation. La sociologie constate que cet arbre de vie est présent parmi toutes les civilisations: c’est tantôt le pommier biblique, tantôt celui figurant sur les mosaïques persanes, tantôt celui des murs des pagodes bouddhistes, mais il apparaît aussi sur certains drapeaux: le cèdre du Liban ou la feuille d’érable du Canada.
On remarque au passage que l’effigie de l’arbre de vie est souvent associée à la présence du serpent. C’est le cas de certaines scènes mayas. Or ce serpent est porteur de la dualité du Bien et du Mal. Ce phénomène peut avoir un impact émotionnel indélébile selon la religion concernée. La Chute et donc la conséquence du pêché originel a profondément marqué les civilisations occidentales et proche-orientales. Par contre, quand le cobra abrite la tête du Bouddha, il sert d’antidote au tabou de la négativité. Les civilisations asiatiques sont totalement libérées du déterminisme provoqué par un Éden perdu.
1.2.Des dieux et des arbres. La relation sous-jacente du concept religieux lié à l’effigie de l’arbre est un phénomène que l’on observe dans la mythologie grecque. Si on se penche sur le monde des Olympiens, on s’aperçoit que la plupart des divinités sont associées à un animal ou à une plante. C’est une manière d’asseoir la fonction divine créatrice, protectrice de la trilogie vitale: homme/animal/plante. En voici quelques exemples:
- Zeus [Ζεύς], le chêne. On associe généralement Zeus avec la foudre. Pourtant, le chêne était aussi l’effigie sylvestre du maître de k’Olympe. Le chêne est resté un arbre sacré par sa force et sa longévité. On le retrouve comme étant un puissant emblème druidique. Il attire la foudre et représente un axe vertical de passages, de connaissance, d’autorité, de justice et de sagesse. C’est pourquoi on le retrouve dans l’imagerie populaire où Saint-Louis rend par exemple la justice sous un chêne à Vincennes. Le bâton d’Héraclès est taillé dans le chêne. Un ouvrage d’André Malraux s’intitule Les chênes qu’on abat…, titre emprunté à la poésie de Victor Hugo (1872) pleurant la mort de Théophile Gautier”:
Les Chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule!
À Théophile Gautier, Victor Hugo -
- Héra [Ἥρα], le jardin des Hespérides (les pommes d’or). La sœur et l’épouse de Zeus possédait une pomme d’or, symbole de fertilité depuis son mariage. Suite à l’abus que les frasques de son
époux en faisait pour ses conquêtes, elle a dû les cacher dans un jardin secret, à l’autre bout de la Terre, au pays du soleil couchant, gardé par les Hespérides [Ἑσπερίδες]. Ce sont trois sœurs, filles d’Atlas et d’Hespéris (le Couchant). La “pomme de discorde” sera l’objet d’une compétition entre trois déesses: Héra, Athéna et Aphrodite tout en étant le point de départ de la guerre de Troie (ou de trois!). Et puisqu’il est question de triade, le choix de ces trois femmes n’est pas aléatoire. D’abord parce que chacune est issue d’une verticalité complémentaire. Héra, fille de Titans, appartient à la sphère cosmique et règne sur l’Olympe. Athéna, a vu le jour en sortant de la tête de Zeus, puis a vécu sur terre parmi les hommes. Aphrodite enfin, née de l’écume deviendra l’épouse d’Héphaïstos, maître du feu. Les quatre éléments primordiaux sont donc représentés: l’air, la terre, l’eau et le feu. Enfin, cette pomme, symbole du monde terrestre, est forcément un fruit de discorde. En choisissant Aphrodite, déesse de la beauté et de l’amour, Pâris fait un choix qui aura de lourdes conséquences, car l’Amour est volage et éphémère. D’un côté, il y avait pourtant la stabilité et l’ordre (Héra); de l’autre, se trouvait la sagesse et la protection (Athéna), mais le beau berger, illustre ancêtre du Panurge de Rabelais, fait le choix de la veulerie humaine en choisissant d’être aimé par la belle Hélène. Pour Platon, l’amour est désir. Cette même image est sous-jacente dans l’Eden biblique dans la scène d’Ève et de la pomme cueillie de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Ce qui en apparence est une digression, n’est autre qu’une vérité issue d’un arbre fruitier à feuilles caduques. - Artémis [Ἄρτεμις], le cyprès. Déesse de la nature sauvage associée à la lune par contraste à son
frère Apollon, associé au soleil, cette emblématique chasseresse est la protectrice des femmes. Or selon la tradition grecque, il était d’usage de planter un cyprès à la naissance d’une fille. Selon le mythe, un jour, un ami d’Apollon tua malencontreusement la biche d’Artémis et de chagrin, fut transformé en un cyprès, devenu l’arbre des morts. Le cyprès appartient surtout à la flore méditerranéenne. Cet arbre ne perd pas ses feuilles.Voilà pourquoi il fait figure d’arbre de vie dans les cimetières. Le rite religieux de la chrétienté y voit un symbole de renaissance spirituelle après la mort. On peut ajouter aussi que sa forme évoque aussi un cierge. - Apollon [Ἀπόλλων], le laurier. Le mythe raconte qu’Apollon était tombé amoureux de la nymphe Daphné [Δάφνη] qu’il poursuivait inlassablement. Tant et si bien que cette dernière supplia son père d’y mettre fin et il la métamorphosa alors en laurier. En grec Daphné signifie “laurier”. Apollon voua alors un culte au laurier. Les vainqueurs des jeux pythiques du temple de Delphes, dédié à Apollon, recevaient alors des couronnes de laurier.
- Aphrodite [Ἀφροδίτη], le balsamier (arbre à myrrhe). Selon le mythe grec, Myrrha [Μύρρα], princesse d’Asie-Mineure avait eu une relation incestueuse avec son propre père. Elle fut métamorphosée en un arbre d’où naquit Adonis, qui fut alors adopté par Aphrodite.
- Athéna [Ἀθηνᾶ], l’olivier. Déesse aux multiples talents, dont celui de la sagesse, Athéna est le
fruit des amours de Zeus et de Métis [Μῆτις, en grec veut dire la ruse]. Née, après quelques avatars olympiens, elle surgit tout en armes du crâne de son père. Elle passera sa jeunesse sur les bords du lac Triton, dans le sud tunisien, avant de devenir la protectrice d’Athènes. Un concours l’opposa à Poséidon [Ποσειδῶν]. Elle remporta la victoire en plantant un olivier sur l’Acropole d’Athènes. Cet arbre méditerranéen est un symbole d’immortalité, de force et d’abondance. C’est aussi un symbole de victoire. À Olympie, on offrait une couronne d’olivier aux vainqueurs. C’est aussi un symbole de fidélité: le lit d’Ulysse et de Pénélope était en bois d’olivier. Dans la Bible, Dieu utilise un rameau d’olivier pour signifier à Noé la réconciliation à la fin du Déluge. De fil en aiguille l’emblème de la paix est une colombe portant une branche d’olivier dans son bec. - Hermès [Ἑρμᾶς], le caducée. L’analyse de ce symbole nécessite un commentaire. Il est tout
d’abord composé de trois éléments: une baguette en bois de laurier ou d’olivier, l’effigie de deux serpents entrelacés et surmonté de deux ailes d’oiseau. Cette trilogie initiale révèle aussi une double dualité; deux serpents et deux ailes. C’est une véritable image “hermétique” où les trois premiers chiffres se côtoient: 1 (la baguette), 2 (serpents et ailes), 3 (les trois éléments constitutifs: bois, serpent, aile), voire le chiffre impair 5 (en additionnant 2+2+1). On comprend pourquoi l’alchimie s’en est emparée pour évoquer l’équilibre du souffre et du mercure. Le caducée s’identifie aussi à la symbolique de l’arbre. Il y a la verticalité de la baguette de bois (le tronc), l’ascension symétrique de deux serpents unis, sortis de la terre et l’épanouissement final d’une paire d’ailes horizontales, marquant une conscience cosmique contenue dans l’union de la terre et du ciel. On retrouve ici, sous une autre forme, les éléments sous-jacents liés à la symbolique de l’arbre. Hermès était le messager des dieux mais aussi le protecteur des voyageurs. À l’origine, c’était un mythe sumérien qui bien évidemment a été repris dans la scène biblique de la Genèse. En cela, la mythologie véhicule une apparence culturelle masquant une réalité sous-jacente. - Le bâton d’Asclépios [Ἀσκληπιός], dieu de la médecine, est surmonté d’une couleuvre et est devenu l’emblème de la médecine. Cette effigie ne contient aucune autre signification hermétique que la simple fonction de soigner les morsures de serpent.
1.3.L’arbre à palabres. En Afrique, mais également en Asie, la parole est plus tenace car elle engage le
dit. Chez les peuples sans écriture, la parole transmise est une clé de la connaissance. Le griot, ce troubadour de la savane, est celui qui conserve et divulgue la culture de la tribu. En Afrique de l’Ouest, le village tribal s’organise en trois niveaux: il y a le chef du village, le conseil des anciens et le sorcier, le seul qui vive à l’extérieur de l’espace habité. Au centre du village, se dresse toujours un vieil arbre, généralement un baobab, appelé “l’arbre à palabres”. Quelques bancs autour du tronc permettent aux anciens de discuter des affaires du village et aux plus jeunes d’écouter les histoires tribales.
Symboliquement, on retrouve ainsi le point situé au centre du cercle. Cette vieille image égyptienne est celle du soleil, à la fois source de lumière et de procréation. Le baobab est un bel exemple de l’arbre de vie. Cet arbre imposant (Adansonia digitata), produit de la terre-mère, est capable de stocker une prodigieuse quantité d’eau et peut vivre jusqu’à 2000 ans. Sa pérennité lui confère donc une aura d’éternité.
“La force du baobab est dans ses racines”
(proverbe du Congo)
En 1977, le prix Pulitzer a été décerné à l’Américain Alex Haley (1921-1992) pour un ouvrage intitulé “Racines” [‘Roots’] retraçant la saga d’une famille afro-américaine.
1.4.Le masque. Tous les masques ne sont pas en bois. Mais aux Amériques, à Bornéo, en Papouasie et en Afrique, ils sont taillés dans le bois car ce sont des produits de la grande forêt tropicale. Ainsi, la mystique de l’arbre apporte au masque une propriété ésotérique émanant des profondeurs de l’ombre sylvestre. Le masque cache le visage en apparence, mais révèle un invisible. Sa fonction est de dévoiler un dedans au dehors.
Dans les cultures africaines, c’est un médium mystique permettant de communiquer avec les esprits grâce à la musique et à la danse où chaque membre du village en fête participe à une communion tribale. Chaque tribu possède son masque. C’est pourquoi le masque possède une fonction culturelle et surtout spirituelle. Souvent, le sorcier est le gardien du masque, ce qui implique qu’il demeure le garant du pouvoir spirituel. Il vit donc à l’extérieur de l’enceinte communautaire, celle du monde profane. On comprend pourquoi les Africains rechignent à ce que leurs masques soient révélés à l’extérieur du cercle communautaire. Les artistes du début du XXe y ont vu une expression artistique, alors qu’il s’agit d’un élément mystique, pieusement conservé à l’abri du regard en temps ordinaire.
À Bornéo, aux Célèbes, à Bali, en Nouvelle Guinée, le masque possède la même identité ethnico-religieuse. Il est l’expression imaginée, voire révélée d’un esprit dont on sollicite la protection.
Le théâtre s’est emparé du masque pour révéler une abstraction. Que ce soit le théâtre grec dans l’Antiquité ou le théâtre Nô japonais. Par sa prédilection pour l’apparence et la réalité, William Shakespeare utilise parfois un masque invisible dans ses pièces. Ainsi, Hamlet porte le masque de la folie destiné à dénoncer le “quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark”.
Produit du bois de l’arbre, sous le ciseau du sculpteur, le masque révèle une entité imaginée par l’homme. Il transgresse la notion de la verticalité contenue dans l’arbre par une horizontalité appartenant au monde des hommes dans le cercle communautaire comme aux quatre coins de l’univers.
Masques! Ô Masques!
Masques noirs masques rouges, vous masques blanc-et-noir
Masques aux quatre points d’où souffle l’Esprit
Je vous salue dans le silence!
Et pas toi le dernier, Ancêtre à tête de lion.
- Léopold Sédar SENGHOR -
Cette même notion d’horizontalité, qui vient d’être évoquée, fait appel au symbole universel de la croix. Comme le masque, elle peut être un produit issu du bois de l’arbre. Dans sa fonction de gibet, elle évoque surtout la mort du Christ.
1.4.La croix. Ce signe est un des quatre symboles élémentaires universaux, comme le sont le point, le
cercle et le carré. La croix est le signe de l’expansion du point dans le cosmos (le cercle) et délimite aussi le carré (la Terre). L’Ankh égyptien s’associe au symbolisme de la croix. On la retrouve chez les Babyloniens, puis en Inde, en Chine, au Mexique…Sous Constantin, le Christianisme l’adopte comme symbole de la chrétienté. Depuis, elle revêt toutes sortes de formes: croix grecque ou latine, croix de Lorraine, de Saint-André (Écosse), de Malte, croix celtique, croix papale, swastika, etc.. Elle est devenue religieuse (croix huguenote, croix de Jérusalem, copte, orthodoxe, éthiopienne), culturelle (croix occitane, croix de Camargue), politique (croix gammée) ou tout simplement sociale (la croix rouge). On note également que les premiers alphabets l’ont intégré comme un signe graphique (phénicien [Th], tifinagh berbère [T / t]).
Mais évidemment, l’impact de la religion chrétienne a diffusé son image à travers le monde comme l’un des grands symboles universels. Le Christ crucifié sur une croix (vraisemblablement d’ailleurs en Tau) donne au sacrifice la puissance universelle d’une verticalité alliée à une horizontalité. Une image hautement symbolique qui se positionne sur un mont (le Golgotha) et s’allie au “mystère” de la Trinité puisqu’elle est accompagnée de deux autres suppliciés.
1.5.Le totem. Cette effigie amérindienne a déjà été évoquée parmi les autres éléments de la verticalité (partie VI). Mais il paraît utile de revenir brièvement sur cette image symbolique pour étayer les composantes de l’arbre. Avant tout parce que l’effigie du totem est taillée dans le tronc d’un arbre. C’est donc un arbre devenu approprié par Une famille, un clan, s’approprie donc un tronc d’arbre pour en faire un marqueur familial. D’ailleurs, dans la langue des Ojibwés, le mot désigne la “famille”. Il s’agit donc littéralement de l’arbre généalogique d’un clan familial. Or les figurations appartiennent au monde animal. Dans les croyances ethniques, chaque animal possède un pouvoir déterminé. Le totem est très souvent coiffé par l’effigie d’un aigle. Le ‘thunderbird’ (“oiseau-tonnerre”) était l‘animal sacré des Amérindiens. Le parallèle avec Zeus est inévitable. Mais le même parallèle existe avec le dieu nordique Thor. Quoi qu’il en soit, les ailes donnent au totem la propension d’un envol vers le monde céleste. On retrouve ainsi la triade: monde des morts / monde des vivants / monde cosmique, sans oublier les trois niveaux de la vie terrestre: le monde végétal, le monde animal et le monde des humains.
1.6.L’arbre généalogique. L’analyse du totem nous fait rebondir sur un concept du langage appelé l’arbre
généalogique. On entame un passage vers le monde de l’abstraction où les racines et l’effigie de l’arbre s’identifient à un symbole de la vie terrestre. L’arbre du paradis perdu en devient un illustre ancêtre. Pour retracer retrouver nos origines familiales, on a coutume de faire appel aux ramifications d’un arbre. De telle sorte que certains pays s’identifient à un arbre figurant sur le drapeau: le Liban, le Canada, le Mexique, Haïti, Fiji, le Belize, la Guinée Équatoriale. C’est dire combien ce parallélisme est cher aux hommes.
1.7.Le sapin de Noël. Dans la tradition païenne, on célébrait le solstice d’hiver avec un sapin décoré de fleurs, de fruits et de blé. Le sapin est bien sûr un arbre à feuilles persistantes. On retrouve donc ici les racines d’un vieux symbole assyrien évoquant un renouveau de la nature après une mort apparente au cours de l’hiver. La chrétienté a utilisé cet aspect symbolique pour étayer l’idée d’une promesse de résurrection spirituelle. Quand on ajoute des lumières à “l’arbre de Noël”, on célèbre alors l’allongement de la lumière du jour au solstice d’hiver (le 21 décembre). Ce sont Curieusement, les Alsaciens ont ensuite généralisé cette tradition.
Païen à l’origine, ce rite s’est greffé sur la fête chrétienne en fonction de son interprétation sous-jacente. Le sapin appartient à la famille des conifères. Son image renvoie à l’idée d’une immortalité spirituelle. Le sapin de Noël renforce le concept de la naissance du Christ. Sa forme triangulaire correspond à la notion trinitaire de l’Église. Mais c’est aussi celle des trois rois Mages, porteurs d’offrandes. Les cadeaux de Noël sont alors disposés sous le sapin de Noël. Quant à l’étoile que l’on fixe tout en haut de l’arbre, elle rappelle celle de la Nativité. Cet arbre est donc une autre version de l’arbre de vie, axe terrestre liant le bas et le haut.
La Franc-maçonnerie privilégie le concept de la Lumière et du renouveau à travers le rite de la Saint-Jean d’hiver. Il s’agit d’un autre moment symbolique ancestral: la fin du cycle de la nuit et le début du cycle du jour grandissant qui culmine à la Saint-Jean d’été (le 24 juin, solstice d’été). Le solstice est l’expression du cycle de la dualité terrestre, immuable à l’image du serpent se mordant la queue. Cet ouroboros grec [οὐροϐόρος] est en fait originaire de l’Égypte ancienne.
2.Quelques espèces caractéristiques.
On pourrait faire une analyse exhaustive des associations entre les espèces d’arbres et le genre humain. Cette analyse fait le choix d’en sélectionner un échantillon représentatif.
2.1.Le bouleau. Cet arbre au tronc blanc et noir est à l’image de la dualité terrestre. En Laponie, le
bouleau tient une place importante chez les Samis. Aujourd’hui sédentarisés, les Samis utilisaient autrefois une hutte de forme circulaire, appelée une goahti, dont l’armature était en bois de bouleau. Il est difficile de ne pas rapprocher la goahti du tipi ou de la yourte mongole et kazakh. Le bois de bouleau continue à être un élément utilitaire important dans la culture samie. Le renne tient lui aussi une place essentielle dans cette société. Le nomadisme d’antan respectait donc les fondements de la triade homme-arbre-animal.
2.2.L’acacia. C’est un vieux symbole du monde méditerranéen. En Égypte, c’était l’Arbre de Vie. Yokébed, la mère de Moïse abandonne son fils dans un panier d’acacia sur le Nil. Il est dit que l’Arche d’alliance était fait d’acacia; l’arche de Noé aussi. Mais surtout, le Saint des saints du Temple de Salomon était lui aussi en bois d’acacia. La Franc-Maçonnerie l’a ensuite adopté. Selon la légende de la mort d’Hiram, après son assassinat, une branche d’acacia a été trouvée sur la tombe du Grand Architecte du Temple.
Christiane Desroches Noblecourt mentionne ceci:”Sur la tombe d’Osiris avait jailli l’acacia. En s’inspirant de la légende du dieu martyr, les Phéniciens firent verdir la même végétation sur la sépulture d’Hiram, le grand architecte assassiné. Et son mythe, inspiré du profond symbolisme égyptien, fut repris dans le rituel maçonnique pour se retrouver de nos jours même en Occident”.
Les épines de cet arbre réputé dur et imputrescible symbolisent les épreuves et les difficultés rencontrées dans la vie d’un homme. Au grade de Maître, la branche d’acacia prend une valeur initiatique. Parallèlement, la couronne du Christ était faite d’épines d’acacia.
Associé au deuil, à la fidélité, l’acacia est un symbole d’immortalité. D’autant plus qu’on dit qu’il repousse longtemps après avoir été coupé. Le mimosa en est une variété fleurie, de même que le myosotis, dont le nom anglais est ‘Forget-me-not’ (“Ne m’oublies pas”).
2.3.Le cèdre [Cedrus libani]. Arbre majestueux des montagnes du Liban, il a donc fait partie du
patrimoine phénicien dès la protohistoire. Il a donc tout naturellement été utilisé pour confectionner la charpente des navires marchands phéniciens. Leurs voisins immédiats avec qui ils commerçaient en ont fait usage. C’était le cas des vaisseaux égyptiens sur le Nil. Mais comme le cèdre est un conifère, que son bois est réputé imputrescible et qu’il peut vivre très vieux, il est devenu un symbole d’immortalité. Il s’identifie donc au monde du sacré. Les Égyptiens l’utilisent pour en faire des cercueils, des statues et parfois même des colonnes de temples. Sous Salomon, les Hébreux l’utilisent pour la charpente du Temple de Jérusalem.
2.4.Le chêne [Quercus]. De par son investiture par la divinité suprême, cet arbre majestueux revêt un caractère sacré. C’est l’arbre de Zeus, associé à la foudre. Il a donc une valeur axiale de lien entre le ciel et la terre. Le sanctuaire de Dodone dédié à Zeus avait un grand chêne. Ulysse était venu consulter l’oracle de Dodone à deux reprises. La massue d’Héraklès (Hercule) était faite en bois de chêne. Quant à la Toison d’or, elle était suspendue à un chêne devant lequel se trouvais un dragon.
Les Celtes ont voué une véritable adoration pour le chêne dont la force a inspiré la sagesse des druides. Arbre de la régénération et de l’immortalité, son fruit, le gland, est un symbole de fécondité et de prospérité.
“Il est vain, si l’on plante un chêne, d’espérer
S’abriter bientôt sous son feuillage.”
Antoine de SAINT EXUPÉRY
2.5.Le pipal [sanskrit: pippsla, latin: Ficus religiosa]. Cet arbre est sacré pour les hindouistes et les
bouddhistes. Plus particulièrement encore dans le bouddhisme, car c’est l’arbre sous lequel Siddhartha Gautama s’est assis et a atteint l’Éveil (Bodhi). Sous son feuillage, il a pu libérer son âme (le Nirvana). Surnommé l’arbre de la Bodhi, il sert de décor aux peintures murales des temples et sa feuille est un motif classique de l’art bouddhiste. Son nom anglais est ‘Bodhi Tree’ et parfois ‘Bo Fig Tree’.
“Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.”
Poème Aux Arbres, Victor HUGO
3.L’arbre, digne symbole culturel.
On voit donc que l’arbre, miroir végétal du monde humain, devient souvent une allégorie culturelle caractérisant, selon la latitude et le climat, l’essence même d’un groupe ethnique. Il y a le baobab africain et même australien, mais aussi le séquoïa de la côte pacifique américaine, le cèdre libanais, l’érable canadien, le cerisier japonais, le saule pleureur chinois, le chêne druidique, le ficus du sous-continent indien…
-Le drapeau berbère (amazigh).
Sociologiquement parlant, l’Afrique du Nord, dans son étendue géographique continentale, de l’Égypte occidentale, aux îles Canaries, est une terre berbère, d’un peuple qui dénomme lui-même les Imazighen [ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⵏ]. En langue Tamazight, cela se traduit par “les hommes libres”. Le singulier du mot est Amazigh [ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⵏ,]. Il est important de s’arrêter sur l’écriture tifinagh pour comprendre ce qui suit. Le Tifinagh est un système alphabétique aussi ancien que le phénicien.
On remarque que le signe Yaz [ⵣ] - correspondant au /z/ - se situe au cœur de la racine du mot.
Le mot “arbre” en Tamazight s’écrirait ainsi: [ⵜⴰⵣⴰⵎⵓⵔⵜ]
Le mot “Homme” donnerait: [ⴰⵔⴳⴰⵣ]
Or le Yaz est devenu le signe de ralliement culturel de tous les Berbères. Il apparaît au centre du drapeau berbère (voir l’image). L’interprétation identitaire paraît intéressante sur plusieurs plans.
Hormis, la connexion linguistique qui vient d’être faite, si l’on considère l’image colportée par [ⵣ], on peut y voir un signe symbolique possédant trois interprétations juxtaposées.
-Tout d’abord il se compose lui-même de trois éléments: un trait vertical reliant deux demi-sphères opposées. La demi-sphère inférieure est tournée ver le bas, la Terre; celle de la partie supérieure est orientée vers le haut, le Ciel.
-Le signe Yaz peut être vu comme l’image simplifiée d’un arbre.
-Or, on a vu que l’image de l’arbre se substitue souvent à celle de l’Homme. D’ailleurs, les familiers des danses berbères savent justement que l’on danse les bras levés en équerres, exactement de la même façon.
Une identification symbolique se fait à travers l’inconscient collectif. Elle se révèle ensuite en exprimant une appartenance culturelle. Après la période post-colonialiste, le peuple Amazigh s’est mis en quête de rechercher sa véritable identité. Le panarabisme post-colonial a été rejeté, puisqu’il ne répondait plus aux questions identitaires ancrées dans la langue et les traditions vernaculaires. L’histoire et la science ont peu à peu révélées les racines originelles d’un peuple à la recherche de sa propre identité. Alors, comme c’est souvent le cas, cette quête se cristallise sur un signe de ralliement symbolique. C’est ainsi qu’il faut voir l’effigie du Z berbère: une sorte d’Arbre de vie identitaire.
4.L’écologie de la forêt.
Le changement climatique et l’exploitation grandissante de la forêt, sont des menaces pour le bien-être de la planète. En d’autres termes, les arbres, et donc les forêts sont au cœur des préoccupations de l’Homme moderne.
De Victor Hugo à André Malraux, “ces chênes qu’ont abat” se comptent par milliers. L’arbre joue un rôle essentiel dans le cycle de l’eau et de l’air. L’homme moderne joue aux apprentis sorciers. Il faut donc écouter la voix de la sagesse. Le texte suivant, venu d’une Asie qui s’est toujours efforcée de vivre en harmonie avec son environnement naturel, l’évoque admirablement:
Supplique de l'arbre
Homme!
Je suis la chaleur de ton foyer par les froides nuits d'hiver,
L'ombrage ami lorsque brûle le soleil d'été.
Je suis la charpente de ta maison, la planche de ta table.
Je suis le lit dans lequel tu dors et le bois dont tu fis tes navires.
Je suis le manche de ta houe et la porte de ton enclos.
Je suis le bois de ton berceau et aussi de ton cercueil.
Ecoute ma prière veux-tu ?
Laisse-moi vivre pour tempérer les climats et favoriser l'éclosion des fleurs.
Laisse-moi vivre pour arrêter les typhons et empêcher les vents de sable.
Laisse-moi vivre pour calmer les vents, pousser les nuages
et apporter la pluie qui véhicule la vie du monde.
Laisse-moi vivre pour empêcher les catastrophiques inondations qui tuent.
Je suis la source des ruisseaux. Je suis la vraie richesse de l'état.
Je contribue à la prospérité du plus petit village.
J'embellis ton pays par la verdure de mon manteau.
Homme, écoute ma prière
Ne me détruis pas!
[Texte ancien d'un sage indochinois]
Il n’est pas anodin d’évoquer la symbolique de l’Arbre pour mieux comprendre pourquoi il joue un rôle capital dans la vie des Hommes. On peut alors mieux saisir la raison pour laquelle on évoque la métaphore de l’Arbre de Vie.
Tous les symboles font partie de notre quotidien. Pourtant, il est devenu difficile aux hommes modernes de percevoir le sens caché et profond d’une image. Cette image peut être au fond banale, alors que pourtant elle recèle quelques beaux secrets. Ces images ont donc besoin d’être perçues et analysées à leur juste valeur. Il faut être en mesure d’en extraire “la substantifique moelle”. Nous sommes entourés de symboles. Il s’agit seulement de les reconnaître et d’en extraire l’essence.
Christian Sorand
BIBLIOGRAPHIE:
BEIGBEDER.O. - La Symbolique, Que Sais-je?, PUF, Paris, 1975
BENOIST.L. - Signes, Symboles et Mythes, Que Sais-je?, PUF, Paris, 1975
CHEVALIER.J & GHEERBRANT.A - Dictionnaire des Symboles, Ed.Seghers & Ed.Jupiter, Paris, ISBN:2-221-50211-6
DESROCHES NOBLECOURT.C. - Lorsque la nature parlait aux Égyptiens, Éd. Philippe Rey, 2003, ISBN: 2-84876-004-4
GIBSON.C.- Comprendre les Symboles, Larousse, 2017, ISBN: 978-2-03-589951-4
HAMILTON, Edith - Mythology, Timeless Tales of Gods and Heroes, Grand Central, New York, 1999, ISBN: 978-0-446-57475-4
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