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Tuesday, May 5, 2020

I - L’approche symbolique

Nous sommes entourés de symboles que nous ne regardons pas. Le symbole apparaît généralement comme une image fixe. Parfois, il prend forme dans une histoire véhiculée par un mythe. Chaque civilisation a ses mythes. Même la nôtre, à l’époque où nous vivons.
L’Homme a toujours ressenti le besoin d’expliquer le monde dans lequel il vit. C’est souvent par le biais de l’image symbolique qu’il essaye de réajuster l’apparence chaotique de son univers. Le fil communautaire de l’image symbolique n’a ni frontière, ni espace temporel. Le concept symbolique est partagé par tous les hommes. Il suffit de regarder l’image symbolique et d’essayer d’en percer la signification sous-jacente.
L’approche symbolique demeure donc une clé essentielle. Sans quoi, tout n’est qu’apparence superficielle, sans véritable assise profonde. 

Quand on commence à interpréter certains signes, certaines images, et quand on s’aperçoit qu’ils appartiennent à tous les peuples et à toutes les époques, on fait alors un premier pas dans le monde des mystères, que certains qualifient d’ésotériques. Car il y a toujours deux lectures: une lecture dite exotérique, et une lecture ésotérique. On s’aperçoit alors que notre univers est composé d’une foule de symboles dont on ne retient généralement presque rien, par ignorance. 

« L’exo-térique voit les choses d’en-bas; l’ésotérique les voit d’en-haut » F. NIETZSCHE « Par delà le Bien et le Mal »

*Comment est né le symbole?
Le symbole remonte à la nuit des temps, mais il a d’abord été précédé par le signe. Le signe universel le plus élémentaire est celui de
Art rupestre de Bornéo
 (env. 10,000 ans)
la main préhistorique. Or ces mains n’ont pas seulement été l’apanage des grottes de l’Europe du Sud, de l’Afrique du Nord ou du Proche Orient. On a retrouvé des mains vieilles  de 12,000 ans en Amérique du Sud et de 20,000 ans au nord de l’Australie! Toutes ces mains font figure d’un appel lancé par nos lointains ancêtres.
Pour autant, ces signes élémentaires ont laissé place à des scènes de chasse, qui ont, elles-mêmes, donné lieu à différentes interprétations. Or en réalité, ces peintures rupestres ne représentent pas seulement des animaux, mais aussi des portraits ou des scènes humaines. Certaines sont d’un tel réalisme, qu’elles ont permis la reconstitution de pans entiers de l’histoire ancienne, dans le Tassili n’Ajjer (Algérie) par exemple.
L’écriture n’existant pas encore, et moins encore le livre, le rocher est ainsi devenu une “montagne aux écritures”, pour citer un roman célèbre de Frison-Roche.
Et c’est à partir de ce moment-là, semble-t-il, que les premiers signes symboliques commencent à prendre forme dans l’esprit des Hommes.
Le symbole a précédé l’écriture et défie l’utilisation de toute traduction. Il fonctionne comme une projection mentale de la pensée humaine, en une image concrète permettant d’illustrer un signifié. Cette ’mage doit être parlante pour celui qui veut bien chercher à la comprendre. Elle est intemporelle, universelle. Elle passe directement de l’œil au cerveau. Elle se révèle dans toutes les langues et défie les lois de la traduction.

**Quels sont les premiers grands symboles universels? 
Mandala tibétain
On s’est longtemps posé la question de savoir pourquoi on retrouvait partout les mêmes symboles; surtout pourquoi ils recélaient une même signification.
Au XXe siècle, l’ethnologie a reconnu qu’il existait quatre symboles primordiaux, partagés par toutes les civilisations  - développées ou pas. Ce sont: le point, le cercle, la croix et le carré
Ces quatre symboles élémentaires s’allient parfois dans des œuvres d’art à caractère symbolique. C’est le cas du mandala, terme sanscrit signifiant “cercle”. Cet assemblage labyrinthique de cercles et de carrés possède un axe central quadripolaire. Ce même concept se retrouve dans un monument tel que le temple bouddhique de Borobodur; ou bien aussi dans le disque solaire aztèque, ou encore dans celui des rosaces des cathédrales du Moyen Âge.
Ce n’est que progressivement que j’ai découvert ce qu’était véritablement le mandala: … le Moi, le Tout de la personnalité, qui si tout suit son cours est harmonieux.” (C.G. Jung, Mémoires, Rêves, Réflexions
Plan de Borobodur

***La permanence universelle et omniprésente du symbole.
L’ethnologue Claude Lévi-Strauss a réfuté le terme de “peuple primitif”, qu’il remplace par celui de “peuple sans écriture”. À juste titre, car ces peuples caractérisés par leur isolement, partagent des mythes et des symboles qui se rapprochent des peuples dits “avancés”, qui, eux, ont une écriture. Par conséquent, on peut donc penser que les signes et les symboles ont précédé le langage à la Préhistoire, puis l’écriture dès la Protohistoire. Il manque aux peuples “sans écriture” cet élément différentiel, uniquement en raison d’un habitat ayant empêché les échanges, créant ainsi un vide substantiel. 

****Symboles exotériques et symboles ésotériques.
Pour simplifier, on peut diviser les symboles en deux catégories: ceux qui sont déductibles immédiatement, et ceux qui requièrent une
Alphabet Tifinagh
analyse interprétative.
Le mieux est de présenter quelques exemples choisis, extraits de la civilisation Amazighe (berbère). Les raisons en sont très simples:
-Ce sont tous des symboles géométriques, donc facilement mémorisables.
-Certains illustrent une communauté de pensée universelle, c’est-à-dire que l’on peut les retrouver dans d’autres civilisations.
-Certains encore appartiennent aux âges immémoriaux de l’espèce humaine.
-Enfin, d’autres ont servi de base à l’écriture. Or les libyco-berbères, les Touareg [sg. targui] et les différents groupes amazigh modernes partagent une écriture (le Tifinagh) et un alphabet aussi vieux que celui des Phéniciens (voir image ci-dessus). Un simple coup d’œil sur cet alphabet d’origine chamito-sémitique révèle cette extraordinaire parenté. 
-On pourrait objecter qu’une telle similitude existe aussi dans l’alphabet phénicien. Certes, mais la seule différence est que les Tifinagh ont simplement été modernisés, mais qu’ils existent de manière quasi-identique depuis leur création.
Ces signes ou ces symboles vont donc se perpétrer dans la poterie, l’orfèvrerie, les tissages, et même dans la tradition du tatouage. 
La Croix
Le svastika (M))

L'araignée

On reconnaît assez bien une araignée stylisée ici. Mais il faut ensuite connaître sa signification en rapport avec son contexte culturel. 
Décomposé, ce signe est une croix de Saint-André (ou signe mathématique de multiplication) avec un trait fléché horizontal.

Les deux premiers signes appartiennent à une communauté de pensée universelle. Le troisième utilise une symbolique adaptée à des mythes ou des croyances locales.
Celui qui suit est devenu plus ésotérique, même s’il utilise des formes géométriques connues. 


Arbre de vie


Culturellement parlant, il s’agit de l’arbre de vie. Il nécessite donc une explication plus détaillée.
Il se compose de trois éléments principaux:
-deux arcs de cercle latéraux,
-d’un trait vertical, substantiellement plus imposant, sensé représenter un arbre avec ses racines et ses branches.
Avant de relier ce signe à son contexte culturel, il faut en faire une analyse symbolique que Jung qualifierait peut-être de subconsciente.
Réunis, les deux arcs de cercle forment un cercle cosmogonique  qui est l’œuf primordial. 
La barre verticale représente l’axe du Monde, reliant le bas au haut. Le même principe s’applique à l’obélisque. Et pour le relier au monde moderne, chaque grande cité à son obélisque, y compris Bangkok, Paris, Mexico ou Buenos Aires.
Remarquons également que si ce signe est composé de trois éléments, l’arbre est lui-même composé de trois éléments. Or l’arbre fonctionne aussi symboliquement comme un substitut de l’Homme!
À partir de là, on peut y voir la même image symbolique que dans l’Arbre de la Connaissance du Bien et du mal biblique. Au milieu le pommier, à droite Ève (la Femme) et à gauche Adam (l’Homme), c’est à dire le principe de la dualité caractéristique de la vie terrestre. Il s’agit là d’une adaptation à un autre mythe bien connu.
Or, si cet “arbre de vie” central est plus grand, c’est peut-être pour définir le principe de la Connaissance, celle de l’Homo sapiens. Cet arbre a brisé l’œuf primordial pour s’imposer, non pas comme maître de l’Univers, mais comme le maître de son environnement, la Terre. Et cet arbre/homme puise ses racines dans la Terre-Mère, s’élevant fièrement à la Vie, en repoussant le “bas” (la Coupe, le Graal) comme le ”haut” (la voûte, le dôme). Cet arbre de vie est le symbole de l’homme sur Terre.

Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut : et ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d'une seule chose.” (Quod est inferius, est sicut quod est superius. Et quod est supius est sicut quod est inferius ad perpetrada miracula rei unius.) Hermès Trismégiste, Table d’Émeraude”

Comment tout cela peut s’adapter à la culture amazighe?
La linguistique l’explique très concrètement : AMAZIGH (sg) / IMAZIGHEN (pl.) signifie “homme libre”. C’est ainsi que se définissent ceux qu’il est d’usage d’appeler les Berbères. Or la lettre Z [] est au centre de la racine du mot. On sait qu’aujourd’hui ce signe est devenu un mode de ralliement identitaire  de l’Égypte (oasis berbère de Siwa) au Maroc.
Cette analyse, espérons-le, montrera la richesse de l’évocation symbolique et ses implications universelles qui font fi des langues et des traductions.
Le symbole est l’extériorisation de croyances mythiques universelles, remontant à la nuit des temps et qui s’extériorise sous la forme d’un dessin figuré. “Un mot ou une image sont symboliques lorsqu'ils impliquent quelque chose de plus que leur sens évident et immédiat.(Carl Gustav Young).
À partir de là, on comprend que Freud ou Jung, l’aient exploité pour expliquer le subconscient. 

Cette approche symbolique conduit aisément aux “connaissances” diverses que l’on acquiert grâce au livre et qui ouvrent peu à peu à une introspection, proche du “Connais-toi, toi-même”.

Voici donc une série d’une douzaine d’ouvrages qui permettront d’approfondir la connaissance symbolique en enrichissant notre perspective du monde dans lequel nous vivons.


BIBLIOGRAPHIE:

Trois livres-clé dans la collection Que sais-je? (PUF)
Art rupestre du
Tassili n'Ajjer
-Olivier Beigbeder, La Symbolique,
-Luc Benoist, Signes, Symboles et Mythes
-Jean Servier, Les Berbères
D’autres ouvrages permettant d’approfondir ce qui a été dit au sujet de l’écriture et de la symbolique:
-James A. Février, L’Histoire de l’Écriture
-Pierre Bergounioux, Le corps de la lettre, Fata Morgana, 2019, ISBN 978-2377920372
-Christiane Desroches-Noblecourt, Symboles de l’Égypte, Desclée de Brouwer, 2004, ISBN : 978-2-253-12248-7
-JB Moreau, Les Grands symboles méditerranéens dans la poterie algérienne, Alger, 1976. Cet ouvrage est téléchargeable gratuitement en format paf
-Stephen Fry, Mythos, Penguin Books, en vente (en anglais) à la librairie Kinokunya, Bangkok
-Edith Hamilton, Mythology, poche (en anglais), Little, Brown & Company (idem) 
-Jean-Pierre Vernant, L’Univers, les dieux, les hommes, Le Seuil, 1999.
-Paul Diel, Ce que nous disent les mythes, Petite bibliothèque Payot, 2013.
-C.G. Jung, L’homme et ses symboles, Robert Laffont, 1964.
-LH Fage & JM Chazine, Bornéo-La mémoire des grottes, préface de Jean Clottes, FAGE éditions, ISBN 978-2-84975-147-3

En définitive, cette analyse est une réflexion sur le pouvoir du symbole. Le symbole, sous une apparence désordonnée, révèle en réalité l’ordre cosmique. Ce qui semble tout d’abord chaotique doit être remis en ordre (Ordo ab Chao). Souvenons-nous de ce principe alchimique.

Il manque encore à cette “approche symbolique” une dimension tout aussi profonde que l’on trouve dans la littérature (poésie ou roman), mais également dans toutes les autres formes artistiques. Ce sera l’objet d’une autre étude consacrée au symbolisme. 

Stèle votive Punique.
Pour montrer la pérennité de l’expression symbolique, voici une stèle votive trouvée au sanctuaire de Carthage.
L’archéologue tunisien, qui l’a découverte, la décrit ainsi:
“Ce palmier est chargé de dattes. Le stipe (le tronc) est recouvert d'un quadrillage oblique.
Des rinceaux de feuilles de lierre se combinent avec de part et d'autre. On voit également deux oiseaux. 
Le Palmier est un symbole de fécondité et un emblème de fertilité. Son association avec le lierre porte à croire à un symbole d'immortalité également.” 
Les clés de l’interprétation sont données en faisant le parallèle, décrit antérieurement, avec le signe de l’Arbre de Vie. Les composantes sont: le tronc et les fruits du palmier, le lierre grimpant de chaque côté, les deux oiseaux, le quadrillage en deux tons du tronc, les deux spirales, et finalement une frise ayant une multitude de coupes.
Le palmier donne à cette stèle son caractère régional. Mais il s’agit bien d’un arbre, et toutes les images font partie d’un collectif humain universel.

La symbolique, à elle seule, permet de déchiffrer le message, inscrit dans la pierre, pour l’éternité. 

Calcaire gris 
Hauteur : 91cm, largeur: 18cm
Sanctuaire de Carthage, Musée National du Bardo, Tunis.


Christian Sorand


Mai 2020

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