Le Rhône à Arles vu du quartier de Trinquetaille |
Il
existe des villes qui tournent ostensiblement le dos à la mer.
D'autres encore oblitèrent l'existence du fleuve qui les traverse.
Ainsi en est-il d'Arles-sur-Rhône, haut lieu culturel et historique
du sud de la France.
À
cette étape de son cours, le Rhône, né dans les Alpes de la Suisse
romande, démarre son delta, à quelques encablures au nord-ouest de
la ville. Le quartier de Trinquetaille, sur la rive droite, se situe
à la pointe de ce delta. Le fleuve se sépare en Petit
Rhône
et Grand
Rhône.
Cette île fluviale prend alors le nom de Camargue.
Cette formidable réserve naturelle jalonne la route des migrations
ornithologiques de l'Afrique à l'Europe. C'est à Arles aussi que le
cours du Grand Rhône devient le plus large dans un méandre séparant
les deux rives de la ville. La rive droite est celle du quartier de
Trinquetaille ; la rive gauche, appartient à la cité
historique, classée par l'UNESCO en 1981 sur la liste du patrimoine
mondial de l'humanité pour
ses « monuments romains et romans ».
« La
Petite reine des Gaules »
À l'instar de
Marseille, dont elle a partagé le titre de « capitale
européenne de la culture » en 2013, la Ville d'Arles est l'une
des plus vieilles cités de l'Hexagone. Son histoire remonte à 2 500
ans, avant même la conquête romaine.
Buste de César |
Le chaland romain |
Musée de l'Arles antique |
Le
fleuve continue à perpétrer la renommée de la ville au Moyen Âge.
Le Christianisme transforme
'Les Alyscamps' de Paul Gauguin |
En
Arles, où sont les Aliscans,
Quand
l'ombre est rouge, sous les roses,
Et
clair le temps,
(Poème
de Paul-Jean Toulet, 1867-1920)
On comprend
pourquoi la ville détient la deuxième collection de sarcophages
paléochrétiens au monde après celle des musées du Vatican.
Blason d'Arles |
Si
le fleuve demeure l'élément vital, la ville lui tourne curieusement
le dos. Ceci s'explique peut-être par le flot tumultueux du Rhône
dont certaines inondations ont laissé des souvenirs impétueux. Il
est vrai aussi que le mistral
vent
violent et glacial en hiver s'engouffre de toute sa force dans la
vallée du Rhône. Pourtant, est-ce bien suffisant pour expliquer ce
rejet quand tant d'autres villes honorent les bienfaits du fleuve qui
les arrose ?
Arles,
ville d'art et de culture.
La
Ville d'Arles n'a d'autre atout que d'être une cité d'art et de
culture. Au fil des ans, elle est devenue une destination touristique
et culturelle de première importance.
La Place de la Mairie |
Natif
du Pays
d'Arles,
Frédéric
Mistral (Maillane,
1830-1914), prix Nobel de littérature (1904), choisit la ville pour
y créer le
musée Arlaten,
dédié à la culture provençale. Alphonse
Daudet (1840-1897),
depuis son moulin de Fontvieille, aux portes de la ville, inspira
Georges
Bizet (1838-1975)
pour son « Arlésienne »
(1872), dont d'ailleurs la renommée du costume n'est plus à faire.
Yvan
Audouard (1914-2004),
écrivain et chroniqueur au Canard
Enchaîné,
perpétuera cette tradition provençale faite de contes et d'humour.
Patrick
de Carolis (né
en 1953), autre Arlésien, écrira une histoire de la Provence du
XIIIe siècle, dans « Les
Demoiselles de Provence »
(Plon, 2005). On pourrait également mentionner Michel
Tournier (1924-2016),
co-fondateur des Rencontres d'Arles ou bien le Belge Hubert
Nyssen (1925-2016),
écrivain, fondateur des éditions Actes Sud.
Une
succession non moins florissante de peintres illustre le rayonnement
culturel de la ville.
L'Arlésien Jacques
Réattu
(1760-1833) fut le lauréat du grand prix de Rome en 1790. L'Espagnol
Pablo
Picasso (1881-1973),
grand aficionado,
venait fréquemment assister aux corridas données dans les arènes
d'Arles. C'est d'ailleurs en ce lieu emblématique, mémoire vivante
du culte méditerranéen antique du taureau, qu'il y rencontra le
photographe Lucien
Clergue (1934-2014).
Picasso légua par la suite une série de dessins à l'encre au musée
Réattu. Théo
Rigaud
(1915-1985), peintre méconnu, fut mon professeur de dessin en même
temps que le mentor de Christian
Lacroix (né
en 1951) au lycée Mistral d'alors. Citons, également le peintre
arlésien Pierre
Montagnier
(1915-2007) dont j'ignorais les talents lorsque je l'ai connu en tant
que décorateur au service de mes parents. Parmi les peintres qui ont
rendu célèbre la ville, l'hommage le plus illustre est dû au
peintre
Les Arènes romaines |
'La Nuit étoilée', Vincent Van Gogh |
Par
ailleurs, la ville a inspiré d'autres artistes, d'autres célébrités.
Elle est la patrie de deux grands couturiers : Louis
Féraud
(1920-1999) et Christian
Lacroix (né
en 1951). Côté musique, elle est le port d'attache du groupe gitan
des « Gipsy
Kings »
ou encore celle de la chanteuse Anne-Marie
David
(née en 1952), grand prix de l'Eurovision 1973 pour le Luxembourg.
Jean-Pierre
Autheman
(né en 1946) est un auteur de BD également arlésien. Signalons
également Jeanne
Calment
(1875-1997), cette Arlésienne de 122 ans, qui était devenue la
doyenne des Français et qui se souvenait encore de la présence de
Van Gogh dans la cité rhodanienne.
Quai du Rhône, musée Réattu |
Maquette de la tour Gehry |
Fondation Van Gogh |
Le
chaînon manquant.
Or,
il manque toujours à la ville une dimension supplémentaire pour lui
apporter un souffle
économique perdu. C'est un peu comme si
l'inspiration suscitée par la vie culturelle, n'offrait pas
d'équivalent dans le domaine économique. Par manque d'imagination
ou de conviction ? Elle a pourtant été celle de deux hommes
politiques : Henri
Guaino
(né à Arles en 1957) et Michel
Vauzelle
(né en 1944) , député maire, ancien ministre et ex président de
la région PACA.
Rue du Vauxhall |
Malgré
son patrimoine culturel et touristique, Arles n'a pas une capacité
hôtelière suffisante pour loger un grand nombre de visiteurs. Ils
viennent donc souvent y passer une journée faute de pouvoir y
trouver un lieu de séjour hôtelier. Aucune grande chaîne d'hôtels
ne s'y est implantée. Et nul n'est besoin de construire des tours
qui viendraient dépareiller le paysage. Les architectes
d'aujourd'hui sont suffisamment ingénieux pour concevoir des
constructions qui se fondent dans le paysage. On pourrait aussi
envisager la création d'un centre de conventions internationales
pour alimenter l'économie locale de manière continue. Il suffirait
aussi d'instaurer une politique publicitaire multilingue où
l'ensemble de ses villes jumelles (dix au total) pourraient en
devenir les premières bénéficiaires. L'élection périodique et
culturelle d'une « Reine d'Arles » remplit ce rôle à
merveille. À l'heure d'Internet et de la globalisation, l'activation
des médias est devenue une réalité incontournable. Chaque fois que
je reviens dans la ville, je suis atterré par le manque de services
WiFi dont peuvent bénéficier les visiteurs étrangers. Car Arles a
besoin d'innover dans tous les domaines. Pourquoi par
'Le Pont Langlois', de Vincent Van Gogh |
Pis
encore, Arles continue d'ignorer son espace fluvial. L'ancien Grand
Prieuré de l'ordre de Malte,
devenu musée Réattu, est l'une des rares constructions s'ouvrant en
partie sur le Rhône. Henri Ciriani, architecte du nouveau musée de
l'Arles antique (1995) a édifié un superbe édifice bleu qui ne
possède aucune ouverture sur le Rhône. Le jardin romain qui le
jouxte pourrait avoir un balcon sur le fleuve, mais là encore il
n'en est rien ! Comment est-il possible qu'aucun café-terrasse
n'ait pu voir le jour sur l'une ou l'autre des rives du fleuve ?
Certes, il existe bien quelques croisières fluviales dont Arles
constitue la destination finale. Mais pourquoi ne pas inciter la
création d'une promenade fluviale destinée aux visiteurs régionaux
ou de passage ? Et surtout lorsque les Rencontres photos et le
festival battent leur plein de participants ! Il existe une
péniche-restaurant, coté Trinquetaille. Alors pourquoi ne pas
ouvrir une péniche bar ? C'est bien pourtant ce que notre
voisine beaucairoise a fait sur son canal. Arles n'a pas les
dimensions de Lyon, mais l'aménagement des quais du Rhône devrait
servir d'exemple à imiter. L'argument du mistral ou des crues n'est
pas suffisant. Ce pourrait être une création saisonnière, dans un
premier temps.
Autre
exemple frappant : les quais du Rhône viennent d'être
entièrement restaurés pour éviter toute crûe soudaine
dévastatrice. L'une des dernières publications du magazine
municipal vantait le fait « qu'on pouvait désormais se
promener à pied (ou à vélo) de la gare au musée de l'Arles
antique. Belle réalisation, certes ! Pourquoi alors ne pas
avoir imaginé d'y ajouter quelques bancs, des espaces verts, des
affiches de grands photographes célèbres ou de leurs œuvres, des
peintures de Van Gogh sur les parois, quelques buvettes amovibles,
quelques points de restauration ? Non seulement beaucoup
d'Arlésiens y viendraient, mais aussi des visiteurs des villes
voisines, des touristes. Et si le problème sécuritaire constituait
un handicap, il suffirait d'installer un réseau de surveillance
électrique, patrouillé par l'escadre vélocipède de la police
municipale déjà existant. Le Rhône est là, prêt à contribuer à
redonner un souffle de vie. Le paysage naturel ne semble pas avoir
inspiré l'imagination de nos gouvernants. Quant à imaginer ajouter
une rampe pour piétons et vélos sur les piliers du pont détruit
pendant la Seconde Guerre mondiale, afin de franchir le Rhône depuis
les quais de la gare jusqu'à Trinquetaille, cela appartient encore
au domaine du rêve ! Hélas, on oublie trop vite que ce sont
les rêves qui ont souvent transformé le monde. « I
have a dream.... »
(Martin Luther King).
L'aéroport
de Marseille-Provence a décidé de transformer son look pour
améliorer ses services d'accueil. Les responsables ont eu l'idée de
prendre en compte la vision des passagers et de la tendance mondiale
en matière d'accueil aéroportuaire. Pour cela, ils ont créé un
espace de vote en ligne destiné à la sélection d'un choix
collectif de propositions. C'est un bel exemple de démarche
innovante. Sans surprise, on y découvre l'enthousiasme d'un public
engagé de manière collaborative dans une action publicitaire
destinée à la création future d'un nouvel espace public où tout
un chacun aura eu la chance d'y apporter sa contribution. C'est aussi
une manière intelligente de fidéliser les futurs passagers. C'est
exactement ce dont la belle ville d'Arles aurait besoin en ayant
comme autre objectif culturel et économique d'aménager les quais
flambant neufs du Rhône. Une réflexion locale apporterait
vraisemblablement une foule d'idées créatives conçues dans un
esprit de collaboration équitable et écologique, laissant ainsi une
opportunité aux jeunes et aux moins jeunes qui désertent la ville,
faute d'emplois et d'idées.
Expatrié,
mais ayant toujours ma résidence à Arles, mon opinion exprime une
vision extérieure dont le but est de secouer l'inertie et le manque
de dynamisme dans une ville semblant se laisser porter par une
destinée économique dont elle ne maîtrise plus les données. Grave
erreur, car la manne du tourisme et de la culture existe bien. Il
suffirait tout simplement de s'y atteler tout en essayant de jouer la
carte d'un éco-tourisme équitable. Il est fort probable qu'une
telle démarche génère un sang nouveau qui pourrait être soutenu
financièrement par des associations ou par des établissements
publics et privés.
Christian
Sorand,
Quai du Rhône à Trinquetaille |
Quai du Rhône, coté ville ancienne |
Quai du Rhône, coté La Roquette |
Le Rhône vu du Pont de Trinquetaille |
Lever du soleil sur le Rhône |
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