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Monday, May 23, 2016

Les Quais du Rhône à Arles

Le Rhône à Arles vu du quartier de Trinquetaille
Il existe des villes qui tournent ostensiblement le dos à la mer. D'autres encore oblitèrent l'existence du fleuve qui les traverse. Ainsi en est-il d'Arles-sur-Rhône, haut lieu culturel et historique du sud de la France.
À cette étape de son cours, le Rhône, né dans les Alpes de la Suisse romande, démarre son delta, à quelques encablures au nord-ouest de la ville. Le quartier de Trinquetaille, sur la rive droite, se situe à la pointe de ce delta. Le fleuve se sépare en Petit Rhône et Grand Rhône. Cette île fluviale prend alors le nom de Camargue. Cette formidable réserve naturelle jalonne la route des migrations ornithologiques de l'Afrique à l'Europe. C'est à Arles aussi que le cours du Grand Rhône devient le plus large dans un méandre séparant les deux rives de la ville. La rive droite est celle du quartier de Trinquetaille ; la rive gauche, appartient à la cité historique, classée par l'UNESCO en 1981 sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité pour ses « monuments romains et romans ».

« La Petite reine des Gaules »

À l'instar de Marseille, dont elle a partagé le titre de « capitale européenne de la culture » en 2013, la Ville d'Arles est l'une des plus vieilles cités de l'Hexagone. Son histoire remonte à 2 500 ans, avant même la conquête romaine.
Buste de César
Les Ligures peuplaient la région quand les navires phéniciens remontaient déjà le fleuve pour y commercer. Elle est cité grecque au Ve siècle av.J,-C. L'empereur romain
Jules César fonde la cité d'Arelate ('la ville des marais') en 46 av.J.-C. Le philosophe Sénèque (né à Cordoue vers l'an 4 av. J.-C. et mort à Rome en 65 ap. J.-C.) eut pour épouse Pauline, originaire d'Arles. La colonie romaine deviendra la première capitale romaine des Gaules, avant Nîmes et Lyon. Le Rhône toujours
Le chaland romain
offrait à la flotte romaine un accès direct depuis la Méditerranée, permettant ainsi d'éviter la cité phocéenne de
Massilia (Marseille). Les récentes découvertes archéologiques en témoignent : un magnifique buste dit être celui de l'empereur César (2007) et la remontée d'un chaland romain (2011), font aujourd'hui partie des collections du Musée de l'Arles antique. Comment ignorer alors cet héritage romain jalonné par une succession d'empereurs illustres comme Auguste ou Constantin Ier, dont le fils, Constantin II, est né à Arles ? Quant à la Vénus d'Arles, léguée par la ville au Roi-Soleil au XVIIe, elle fait partie des collections antiques exposées au Musée du Louvre. Arles est après Rome, le lieu abritant le plus grand nombre de monuments romains.
Musée de l'Arles antique
Le fleuve continue à perpétrer la renommée de la ville au Moyen Âge. Le Christianisme transforme
'Les Alyscamps' de Paul Gauguin
peu à peu la cité en un haut lieu religieux, siège d'un prestigieux évêché. Une voie relie la cathédrale / basilique de Saint-Trophime à Saint-Jacques de Compostelle en portant le nom de « route d'Arles ». Au XIIe siècle, l'empereur Frédéric Barberousse épouse une Arlésienne et se fait sacrer roi d'Arles en 1178. Le cimetière des Alyscamps devient ainsi un lieu saint propice aux sépultures. Des cadavres descendaient alors le Rhône dans le seul but d'être collectés pour reposer chrétiennement aux Alyscamps.
En Arles, où sont les Aliscans,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
(Poème de Paul-Jean Toulet, 1867-1920)

On comprend pourquoi la ville détient la deuxième collection de sarcophages paléochrétiens au monde après celle des musées du Vatican.
Blason d'Arles
Le blason de la Ville d'Arles révèle un triple héritage historique emprunté à son histoire. On y distingue l'étendard des légions romaines surmonté de l'inscription 'CIV.AREL' (Civitas Arelatensis). Le sommet de la bannière porte le monogramme grec du Christ (XP, Χριστός). L'emblème du lion est encore plus significatif. Il fut un don de Venise, pour sceller son rapprochement avec Arles. Or le lion de Saint-Marc est l'emblème de la Sérénissime, puissance maritime incontournable. Le bleu et le jaune sont les couleurs de la ville : le bleu évoque le ciel et l'or celui de l'éclat du soleil. Le peintre Van Gogh en fit ses couleurs favorites par le hasard du destin.
Si le fleuve demeure l'élément vital, la ville lui tourne curieusement le dos. Ceci s'explique peut-être par le flot tumultueux du Rhône dont certaines inondations ont laissé des souvenirs impétueux. Il est vrai aussi que le mistral vent violent et glacial en hiver s'engouffre de toute sa force dans la vallée du Rhône. Pourtant, est-ce bien suffisant pour expliquer ce rejet quand tant d'autres villes honorent les bienfaits du fleuve qui les arrose ?

Arles, ville d'art et de culture.

La Ville d'Arles n'a d'autre atout que d'être une cité d'art et de culture. Au fil des ans, elle est devenue une destination touristique et culturelle de première importance.
La Place de la Mairie
La renommée n'est pas seulement due au prestige de l'héritage historique. Une succession étonnante d'artistes de tous bords y a vu le jour ou est venue s'y établir.
Natif du Pays d'Arles, Frédéric Mistral (Maillane, 1830-1914), prix Nobel de littérature (1904), choisit la ville pour y créer le musée Arlaten, dédié à la culture provençale. Alphonse Daudet (1840-1897), depuis son moulin de Fontvieille, aux portes de la ville, inspira Georges Bizet (1838-1975) pour son « Arlésienne » (1872), dont d'ailleurs la renommée du costume n'est plus à faire. Yvan Audouard (1914-2004), écrivain et chroniqueur au Canard Enchaîné, perpétuera cette tradition provençale faite de contes et d'humour. Patrick de Carolis (né en 1953), autre Arlésien, écrira une histoire de la Provence du XIIIe siècle, dans « Les Demoiselles de Provence » (Plon, 2005). On pourrait également mentionner Michel Tournier (1924-2016), co-fondateur des Rencontres d'Arles ou bien le Belge Hubert Nyssen (1925-2016), écrivain, fondateur des éditions Actes Sud.
Une succession non moins florissante de peintres illustre le rayonnement culturel de la ville.
Les Arènes romaines
L'Arlésien
Jacques Réattu (1760-1833) fut le lauréat du grand prix de Rome en 1790. L'Espagnol Pablo Picasso (1881-1973), grand aficionado, venait fréquemment assister aux corridas données dans les arènes d'Arles. C'est d'ailleurs en ce lieu emblématique, mémoire vivante du culte méditerranéen antique du taureau, qu'il y rencontra le photographe Lucien Clergue (1934-2014). Picasso légua par la suite une série de dessins à l'encre au musée Réattu. Théo Rigaud (1915-1985), peintre méconnu, fut mon professeur de dessin en même temps que le mentor de Christian Lacroix (né en 1951) au lycée Mistral d'alors. Citons, également le peintre arlésien Pierre Montagnier (1915-2007) dont j'ignorais les talents lorsque je l'ai connu en tant que décorateur au service de mes parents. Parmi les peintres qui ont rendu célèbre la ville, l'hommage le plus illustre est dû au peintre
'La Nuit étoilée', Vincent Van Gogh
post-impressionniste Vincent Van Gogh (1853-1890). Nul autre n'a su rendre hommage au Rhône comme dans 'La nuit étoilée', où le bleu et le jaune dominent sur un jeu de clair-obscur. Paul Gauguin (1848-1903), son ami, y fit un séjour en nous léguant une toile peinte aux Alyscamps, parallèlement à celle de Van Gogh. Il y eut aussi les frises des farandoles d'Arlésiennes peintes par Léo Lellé (1872-1947) ; celles également de la contemporaine Danielle Raspini.
Par ailleurs, la ville a inspiré d'autres artistes, d'autres célébrités. Elle est la patrie de deux grands couturiers : Louis Féraud (1920-1999) et Christian Lacroix (né en 1951). Côté musique, elle est le port d'attache du groupe gitan des « Gipsy Kings » ou encore celle de la chanteuse Anne-Marie David (née en 1952), grand prix de l'Eurovision 1973 pour le Luxembourg. Jean-Pierre Autheman (né en 1946) est un auteur de BD également arlésien. Signalons également Jeanne Calment (1875-1997), cette Arlésienne de 122 ans, qui était devenue la doyenne des Français et qui se souvenait encore de la présence de Van Gogh dans la cité rhodanienne.
Quai du Rhône,
musée Réattu
Arles est surtout devenue la capitale mondiale de la photographie, grâce à
Lucien Clergue, associé à Jean-Maurice Rouquette (né en 1930), historien et ancien conservateur des musées et à Michel Tournier, lauréat du Prix Goncourt. Tous les plus grands maîtres du 7ème art sont alors venus animer les RIP d'Arles (Rencontres Internationales de Photographie) : Ansel Adams, André Kertész, Cartier-Bresson, Eugene Smith, Man Ray, Ralph Gipson, Robert Doisneau, Brassaï, Lartigue...Cette renommée internationale a conduit la ville à devenir le siège de l'École Nationale Supérieure de la Photographie (ENSP). L'assise culturelle s'affirme encore lorsque les éditions Actes-Sud font d'Arles leur siège, bientôt suivies par Harmonia Mundi et les éditions Picquier qui portent la marque des écrivains asiatiques. Et comme en été la ville s'inscrit dans le triangle des festivals des
Maquette de la tour Gehry
trois A (Aix, Arles, Avignon), sa renommée n'est désormais plus à faire. La construction d'un nouveau centre culturel construit par le célèbre architecte américano-canadien Frank Gehry (né en 1929) à la demande de Maja Hoffman (née en 1956), mécène, héritière d'un industriel suisse, Luc Hoffmann, devenu un naturaliste camarguais renommé, s'annonce comme un événement culturel majeur pour le futur de la ville. Quant à la Fondation Van Gogh, elle s'efforce depuis quelques années de promouvoir et de réhabiliter l'œuvre du peintre pour qui la ville et la région constituent l'essentiel de son inspiration artistique.
Fondation Van Gogh
Le chaînon manquant.

Or, il manque toujours à la ville une dimension supplémentaire pour lui apporter un souffle
Rue du Vauxhall
économique perdu. C'est un peu comme si l'inspiration suscitée par la vie culturelle, n'offrait pas d'équivalent dans le domaine économique. Par manque d'imagination ou de conviction ? Elle a pourtant été celle de deux hommes politiques :
Henri Guaino (né à Arles en 1957) et Michel Vauzelle (né en 1944) , député maire, ancien ministre et ex président de la région PACA.
Malgré son patrimoine culturel et touristique, Arles n'a pas une capacité hôtelière suffisante pour loger un grand nombre de visiteurs. Ils viennent donc souvent y passer une journée faute de pouvoir y trouver un lieu de séjour hôtelier. Aucune grande chaîne d'hôtels ne s'y est implantée. Et nul n'est besoin de construire des tours qui viendraient dépareiller le paysage. Les architectes d'aujourd'hui sont suffisamment ingénieux pour concevoir des constructions qui se fondent dans le paysage. On pourrait aussi envisager la création d'un centre de conventions internationales pour alimenter l'économie locale de manière continue. Il suffirait aussi d'instaurer une politique publicitaire multilingue où l'ensemble de ses villes jumelles (dix au total) pourraient en devenir les premières bénéficiaires. L'élection périodique et culturelle d'une « Reine d'Arles » remplit ce rôle à merveille. À l'heure d'Internet et de la globalisation, l'activation des médias est devenue une réalité incontournable. Chaque fois que je reviens dans la ville, je suis atterré par le manque de services WiFi dont peuvent bénéficier les visiteurs étrangers. Car Arles a besoin d'innover dans tous les domaines. Pourquoi par
'Le Pont Langlois', de Vincent Van Gogh
exemple ne pas instaurer un réseau de service de location de bicyclettes ? Combien de touristes aimeraient-ils aller jusqu'au Pont de Langlois, mais ne peuvent le faire car il n'existe aucun transport public pour s'y rendre ?
Pis encore, Arles continue d'ignorer son espace fluvial. L'ancien Grand Prieuré de l'ordre de Malte, devenu musée Réattu, est l'une des rares constructions s'ouvrant en partie sur le Rhône. Henri Ciriani, architecte du nouveau musée de l'Arles antique (1995) a édifié un superbe édifice bleu qui ne possède aucune ouverture sur le Rhône. Le jardin romain qui le jouxte pourrait avoir un balcon sur le fleuve, mais là encore il n'en est rien ! Comment est-il possible qu'aucun café-terrasse n'ait pu voir le jour sur l'une ou l'autre des rives du fleuve ? Certes, il existe bien quelques croisières fluviales dont Arles constitue la destination finale. Mais pourquoi ne pas inciter la création d'une promenade fluviale destinée aux visiteurs régionaux ou de passage ? Et surtout lorsque les Rencontres photos et le festival battent leur plein de participants ! Il existe une péniche-restaurant, coté Trinquetaille. Alors pourquoi ne pas ouvrir une péniche bar ? C'est bien pourtant ce que notre voisine beaucairoise a fait sur son canal. Arles n'a pas les dimensions de Lyon, mais l'aménagement des quais du Rhône devrait servir d'exemple à imiter. L'argument du mistral ou des crues n'est pas suffisant. Ce pourrait être une création saisonnière, dans un premier temps.
Autre exemple frappant : les quais du Rhône viennent d'être entièrement restaurés pour éviter toute crûe soudaine dévastatrice. L'une des dernières publications du magazine municipal vantait le fait « qu'on pouvait désormais se promener à pied (ou à vélo) de la gare au musée de l'Arles antique. Belle réalisation, certes ! Pourquoi alors ne pas avoir imaginé d'y ajouter quelques bancs, des espaces verts, des affiches de grands photographes célèbres ou de leurs œuvres, des peintures de Van Gogh sur les parois, quelques buvettes amovibles, quelques points de restauration ? Non seulement beaucoup d'Arlésiens y viendraient, mais aussi des visiteurs des villes voisines, des touristes. Et si le problème sécuritaire constituait un handicap, il suffirait d'installer un réseau de surveillance électrique, patrouillé par l'escadre vélocipède de la police municipale déjà existant. Le Rhône est là, prêt à contribuer à redonner un souffle de vie. Le paysage naturel ne semble pas avoir inspiré l'imagination de nos gouvernants. Quant à imaginer ajouter une rampe pour piétons et vélos sur les piliers du pont détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, afin de franchir le Rhône depuis les quais de la gare jusqu'à Trinquetaille, cela appartient encore au domaine du rêve ! Hélas, on oublie trop vite que ce sont les rêves qui ont souvent transformé le monde. « I have a dream.... » (Martin Luther King).

L'aéroport de Marseille-Provence a décidé de transformer son look pour améliorer ses services d'accueil. Les responsables ont eu l'idée de prendre en compte la vision des passagers et de la tendance mondiale en matière d'accueil aéroportuaire. Pour cela, ils ont créé un espace de vote en ligne destiné à la sélection d'un choix collectif de propositions. C'est un bel exemple de démarche innovante. Sans surprise, on y découvre l'enthousiasme d'un public engagé de manière collaborative dans une action publicitaire destinée à la création future d'un nouvel espace public où tout un chacun aura eu la chance d'y apporter sa contribution. C'est aussi une manière intelligente de fidéliser les futurs passagers. C'est exactement ce dont la belle ville d'Arles aurait besoin en ayant comme autre objectif culturel et économique d'aménager les quais flambant neufs du Rhône. Une réflexion locale apporterait vraisemblablement une foule d'idées créatives conçues dans un esprit de collaboration équitable et écologique, laissant ainsi une opportunité aux jeunes et aux moins jeunes qui désertent la ville, faute d'emplois et d'idées.

Expatrié, mais ayant toujours ma résidence à Arles, mon opinion exprime une vision extérieure dont le but est de secouer l'inertie et le manque de dynamisme dans une ville semblant se laisser porter par une destinée économique dont elle ne maîtrise plus les données. Grave erreur, car la manne du tourisme et de la culture existe bien. Il suffirait tout simplement de s'y atteler tout en essayant de jouer la carte d'un éco-tourisme équitable. Il est fort probable qu'une telle démarche génère un sang nouveau qui pourrait être soutenu financièrement par des associations ou par des établissements publics et privés.


Christian Sorand,
Quai du Rhône à Trinquetaille

Quai du Rhône, coté ville ancienne
Quai du Rhône, coté La Roquette
Le Rhône vu du Pont de Trinquetaille







Lever du soleil sur le Rhône

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