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Tuesday, January 18, 2022

PREMIÈRES ARCHITECTURES CHRÉTIENNES D'IRLANDE:(2) Le site monastique de Clonmacnoise.

Photo 1 - Le coude du Shannon vu depuis l'éminence du site de Clonmacnoise

 Au début du Moyen-Âge, le site monastique de Clonmacnoise a joué un rôle important dans l’évangélisation de l’Irlande. En gaélique, son nom signifie “la prairie des fils de Nos”. Fondé aux alentours de l’an 548 par Saint Cláran, son rayonnement s’est largement étendu au reste de l’Europe. La richesse et la profusion de ses édifices tiennent une place de choix dans cette étude car ils confirment l’héritage et l’importance d’une symbolique héréditaire s’enchaînant au fil du temps. À ce propos, René Guénon fait remarquer que “les éléments celtiques subsistants ont été pour la plupart, au moyen-âge, assimilés par le Christianisme; la légende du “Saint-Graal”, avec tout ce qui s’y rattache, est, à cet égard, un exemple particulièrement probant et significatif.”

Clonmacnoise n’est pas un simple monastère. Il s’agit en réalité d’un ensemble monastique formant une véritable communauté urbaine. Si les maisons bâties en bois ont disparu avec le temps, le site affiche une formidable concentration d’églises et d’édifices religieux, parmi lesquels des hautes-croix ou encore deux tours rondes. 

    Le lieu a été choisi à dessein en fonction de sa géolocalisation et de son orientation. Il est donc utile d’évoquer ces différents éléments, afin d’éclairer le processus de transmission symbolique sous-jacent.


1. La géolocalisation. Dans l’Histoire, la géolocalisation a toujours joué un rôle fondamental dans le choix des lieux stratégiques. Si l’Égypte est un “don du Nil”, son territoire a été un carrefour entre la Méditerranée et l’Océan Indien par le biais de la mer Rouge. Les premiers hommes ont utilisé cet espace pour sortir du continent africain et migrer d’abord au Proche-Orient. L’Égypte pharaonique a continué à être un trait-d’union entre le continent africain et l’Asie. Sur ce même continent africain, la fondation de Carthage correspond aussi au choix d'un lieu stratégique, le détroit de Sicile, ayant permis d’étendre à l’Ouest l’influence phénicienne orientale. Pareillement, le site de Clonmacnoise est localisé très

Schéma A - Situation du site en Irlande
 précisément au centre de l’Irlande (voir schéma A). On retiendra donc cette notion hautement symbolique de centre. Qui plus est, Clonmacnoise a été bâti sur la rive sud du Shannon, ce grand fleuve d’Irlande venu du Nord, se jetant dans l’Atlantique à la hauteur de Limerick. Au niveau du site de Clonmacnoise, le Shannon forme un coude (voir photo 1). La source du Shannon se trouve au nord dans ce qui est aujourd’hui l’Ulster. Puis au niveau de ce coude, le fleuve oblique à l’Ouest vers son estuaire atlantique. On a donc la figure d’un L inversé, que l’on pourrait assimiler à une moitié d’une croix [+]. Cet aspect symbolique s’accompagne d’un côté pratique majeur. À cette époque, les routes étaient pratiquement inexistantes. Étant une île, l’Irlande privilégiait les communications par voies d’eau, que ce soit le long des côtes, sur les voies navigables ou les lacs, fort nombreux partout. Ainsi, Clonmacnoise est un lieu stratégique permettant de relier les provinces du Nord et surtout de procurer un accès maritime à l’Ouest. Tout ceci a donc permis à la communauté monastique de jouer un rôle religieux et culturel important, non seulement en Irlande mais aussi en direction du continent européen. 

Schéma B - Plan du site monastique


    L’apogée religieuse de Clonmacnoise se situe entre le VIIIe et XIIe siècles. La réputation de ses enluminures est d’ailleurs restée célèbre dans tout le Moyen-Âge.


2. L’enceinte. Le site s’est développé sur un monticule dominant la vallée du Shannon. Les archéologues pensent qu’il était entouré d’une enceinte circulaire aujourd’hui disparue, dont la cathédrale en était le centre. On retrouve donc ici la symbolique d’un cercle centré, perpétuant la conception des premières communautés monastiques de l’Irlande celtique.


3. Les tours rondes. Le site monastique de Clonmacnoise possède deux tours rondes: l’une est tronquée,

Photo 3 - Tour O'Rourke

la seconde demeure intacte. La présence de ces deux tours rondes confirme leur appartenance à l’architecture religieuse irlandaise, sans pourtant confirmer leur raison d’être. 

  • La tour O’Rourke (1124 ap. J.-C.) a une hauteur de 19m et sa porte d’accès fait face à celle de la cathédrale, vraisemblablement pour procurer un refuge rapide. Son toit a disparu. Il a été frappé par la foudre, onze ans après sa construction.
  • La tour McCarthy est intacte après restauration et possède un toit conique. Elle a la particularité d’être attachée à une église romane du XIIe siècle. “Cette structure est vraisemblablement le premier exemple d’une église et d’une tour faisant partie d’une seule et même structure en Irlande.”

L’importance du site de Clonmmacnoise justifie probablement qu’il y ait deux tours rondes. Si leur association à des édifices religieux est indéniable, leur signification symbolique interroge encore. D’autant plus qu’en ces débuts du christianisme irlandais, la valeur intrinsèque de l’existence d’un symbolisme profane demeurait une valeur sûre d’évangélisation et de continuité. C’est d’ailleurs ce que l’étude des hautes croix révèle aussi.


4. Les trois Hautes Croix. Il faut tout d’abord distinguer ce que l’on appelle communément une “croix celtique” d’une “haute croix”. La conception reste identique (trois parties, voir schéma C), mais ni

Schéma C


la décoration, ni la taille ne sont les mêmes. Comme le terme l’indique, une haute croix est un édifice monumental, à la fois par sa hauteur pouvant atteindre plusieurs mètres et par sa masse gravée de bas-reliefs. Il en existe trois à Clonmacnoise. Deux sont en très bon état, la troisième a perdu sa partie supérieure. L’utilisation du chiffre trois semble avoir une valeur symbolique. En effet, les trois hautes croix occupent un espace géométrique triangulaire bien défini (voir schéma D). Elles sont situées à l’entrée des ruines de l’ancienne cathédrale: deux sur chacun des flancs, une troisième devant le portail. Par ailleurs, chacune de ces croix affiche un style différent. Une analyse plus détaillée permet de faire les observations suivantes: 


Schéma D - Orientation de la cathédrale et des trois croix

  • Le triangle formé par ces trois hautes croix est orienté par rapport à la structure de l’édifice religieux: Nord / Sud / Ouest. Cette orientation “symbolique” correspond exactement aux directions géographiques (voir le plan 4).
  • La haute-croix, située côté ouest (édifiée vers 900 de notre ère) fait face au portique de la cathédrale, donc en direction du Soleil couchant. C’est celle qui affiche des scènes bibliques et qui est la plus travaillée. Elle a été baptisée “la croix aux Écritures” [Cross of the Scriptures / illustration 1],
  • Bien que la croix nord ait été endommagée, les symboles visibles, sont particulièrement intéressants. Cette dernière croix est la plus vieille (aux alentours de l’an 800) et dévoile une symbolique païenne. On y voit en particulier l’image de Cernunnos (illustration 2), le dieu celte de la chasse et de la fertilité. C’est un peu l’équivalent de la déesse lunaire grecque, Artémis [Ἄρτεμις].
  • La haute-croix du sud (datant du début de 900) est un assemblage des deux croix précédentes, alliant symboles et scènes bibliques. Mais sa décoration est essentiellement abstraite, composée de nœuds celtes, de spirales et de bossages.
Illustration 1 - Croix aux Écritures
 
Illustation 2 - Cernunnos, effigie du dieu celte.


    Ces premières remarques suscitent une approche plus détaillée de chacune de ces hautes-croix au niveau de leur distribution décorative.

  • L’orientation symbolique est conforme à celle des sanctuaires catholiques faisant face à l’Orient.
  • Le septentrion, celui de la croix du nord, est le plus ancien et correspondrait alors à une période “froide” dépourvue de “lumière” (chrétienne). 
  • Le midi, exposé à la Lumière, correspond donc à ce que le Bouddhisme appelle l’Éveil, la prise de conscience de l’Être, qui a découvert la Lumière.  La Croix du sud date du début 900 de notre ère.
  • L’occident est le lieu traditionnel du soleil couchant. Il marque donc un aboutissement, ce que la "Croix aux Écritures" rappelle, puisque la croix stigmatise la mort du Christ. Mais cette mort n’est pas une fin en soit puisqu’elle est suivie d’une résurrection. 
  • Pour bien marquer ce symbolisme latent, il faut revenir à l’orientation triangulaire par rapport au portique de la cathédrale, construite en 909. L’entrée, de style gothique, date du XVe siècle et est composée de trois arches successives. (On notera, une nouvelle fois, la récurrence du chiffre trois). La nef du sanctuaire est dirigée à l’Est, orient symbolique, origine de la lumière, mais aussi lieu de naissance du Christ. 
  • La projection de la cathédrale de Clonmacnoise révèle donc une conception géométrique rigoureuse et clairement orientée. L’édifice est le point central d’un cercle, où le portique joue le rôle d’une boussole. Le cadran solaire du plan est marqué par les trois hautes croix formant une figure triangulaire, à l’image de la façade d’une pyramide. Le plan fait donc apparaître une croix grecque à l’intérieur du cercle délimitant l’ensemble. Si bien que les quatre éléments symboliques universels sont inclus: le point, la croix, le cercle et le carré (le sanctuaire est édifié sur le plan d’un carré allongé). Il existe même un cinquième élément: le plan triangulaire.
  • On peut aussi ajouter la valeur des chiffres formant une symbolique supplémentaire: le portique d’entrée [1], les deux portes latérales orientées [2], les triples arceaux du portique et les trois croix orientées [3].

5. Les édifices religieux. Les autres édifices religieux de Clonmacnoise sont nombreux et situés dans un espace restreint. Comme ils sont en mauvais état - hormis la cathédrale, mieux conservée, mais dépourvue de sa toiture - il est difficile de s’étendre sur leur architecture respective.

Par contre, leur répartition dans cet ensemble religieux de conception circulaire, suscite une réflexion quant à leur nombre et à leur regroupement.

  • En regardant le plan général, la cathédrale occupe une place centrale. Le nombre des autres édifices religieux fait appel aux chiffres impairs, 5 et 7. De même que la gauche, opposée à la droite, est un signe de mystère et de sacré, les chiffres impairs appartiennent au domaine du sacré. C’est une conception universelle. 
  • Sur ce même plan général, on constate qu’il y a deux groupes d’édifices religieux, appelés soit temples, soit églises: 5 autour de la cathédrale, le point central. Deux autres se trouvent séparés au niveau de l’enceinte. 5 + 2 donnent 7, chiffre du 7e ciel, le lieu divin par excellence dans les religions révélées.
  • En ajoutant les trois hautes-croix alignées en triangle à l’ouverture de la cathédrale, on a donc un
    Illustration 3 - Le Shamrock

    ensemble représentant les trois premiers impairs: 3, 5, 7. Comme la notion du triple semble être dominante, on peut admettre qu’il n’est pas invraisemblable  que ce soit une évocation au mystère de l’Église romaine au sujet de la Trinité divine. Il faut se souvenir par exemple que la légende du “shamrock” (illustration 3) est liée à celle de Saint Patrick pour expliquer le mystère de la Trinité divine: c’est une plante ayant une tige à trois feuilles. Ainsi l’abstraction du concept est substituée par une réalité concrète, d’autant plus évocatrice qu’elle appartient à un élément naturel local.

Cette rétrospective de Clonmacnoise révèle ainsi l’importance de ce site monastique considéré comme le plus important d’Irlande.

Christian Sorand


Bibliographie:

Dargan, Pat - Exploring Celtic Ireland, The History Press Ireland, Dublin, 2011, ISBN: 978-1-84588-715-5

Guénon, René - La crise du monde moderne, Gallimard Folio/Essais, 1973

The Story of Conmacnoise & St. Ciarán, Ely House, Shannonbridge, Ireland, 2013, ISNN: 978-1-78280-021-7


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