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Saturday, January 26, 2019

DJERBA, île plurielle.

Panorama de Guellala et de la côte sud de Djerba
Djerba abrite une communauté aux particularités multiples. C'est la seule grande île du sud méditerranéen, proche de la côte africaine. Son relief ne dépasse guère une cinquantaine de mètres dans la partie méridionale. Aucun cours d'eau n'arrose son espace semi-désertique. Des puits,
Puits djerbien traditionnel
recueillant une eau saumâtre, propre à la culture, jalonnent son espace. La population indigène a longtemps adapté l'habitat pour permettre de recueillir les eaux de pluie dans des citernes, jusqu'à ce que les nécessités du monde moderne fassent que cette eau soit dorénavant apportée par un pipe-line. 
Or cette île, à l'histoire millénaire, est le berceau ancestral d'une population amazighe caractérisant son identité sociologique, et par voie de conséquence, son caractère original et immuable. Djerba est une île profondément berbère avec toutes les conséquences socio-culturelles que cela entraîne. Car, il faut bien admettre que l'insularité exacerbe, comme partout ailleurs, un esprit d'identité plus tenace que sur le continent.
À cela, vient s'ajouter un autre facteur, historique cette fois. Aussi longtemps qu'existent les civilisations méditerranéennes, Djerba en a toujours été l'un des maillons. 
Rade d'Houmt Souk
Dans l'Odyssée déjà, Homère (VIIe siècle av. J.-C.) la cite comme étant « l'île des Lotophages », dont le fruit envoûtait les marins d'Ulysse. Ce sont ces mêmes Grecs qui ont puisé bien des éléments de leur mythologie dans la proximité immédiate de l'île. Que ce soient, le messager des mers Triton, ou la déesse Athéna. On a tord de croire que le mythe fait figure d'une histoire fantastique imaginée par les Hommes. En ces temps lointains, où l'écriture n'était pas encore née, le mythe permettait de fixer une image mentale dans les esprits des hommes pour expliquer l'inexplicable, mais aussi pour témoigner des connaissances. Homère écrit l'Iliade et l'Odyssée quelques huit cents ans avant notre ère. Il évoque donc une époque encore plus lointaine, appartenant à la Préhistoire. 
Les Phéniciens, ces grands marins et commerçants de la haute antiquité, venaient aussi à Djerba pour
Poterie blanche, Guellala
y chercher le murex, dont on en extrait la pourpre. Entre Guellala et El-Kantara, le site archéologique de Meninx a d'abord été phénicien avant d'être romain. La légende rapporte que les Phéniciens seraient à l'origine de la célèbre poterie de Guellala, car en repartant, ils chargeaient leurs vaisseaux de jarres d'huile d'olive collectée localement.

Le nom tamazight (langue berbère) de Guellala est iquellalen, signifiant "potiers".
Linguistiquement parlant, le mot meninx vient du grec [Μῆνιγξ] signifiant « membrane » et plus spécifiquement celle du cerveau. Or certains textes historiques évoquent Djerba comme ayant la forme d'un cerveau humain ! Il suffit de regarder une carte de l'île pour en découvrir la ressemblance. Cela amène à se demander comment les Anciens avaient pu établir une topographie aussi pertinente !
Les Romains sont arrivés plus tard, mais sont à l'origine de cette chaussée dite « romaine » qui relie El-Kantara (le pont, en langue arabe) au continent africain, vers Zarzis.
La chaussée romaine
Et puis, lorsque les troupes arabes, portant le drapeau de l'islam, sont arrivées au VIIe siècle de notre ère, Djerba était forcément une étape sur la voie de la conquête.
Cela nous conduit alors à évoquer les particularismes religieux de cette île, décidément unique.
Peu de lieux du monde d'aujourd'hui offrent un tel tableau. À vrai dire, il s'agit d'une entité sociologique véritablement atypique. 
Mosquée ibadite
Tout d'abord, Djerba est l'île des Ibadites. Issu du Kharidjisme, l'Ibadisme fait figure de troisième voie dans l'islam, entre Chiites et Sunnites. Réputé pour sa rigueur coranique, sa simplicité sacerdotale, son sens égalitaire entre les sexes et les membres de la communauté, son esprit de tolérance, l'Ibadisme se compare au protestantisme, au sein de l'islam. Le sultanat d'Oman est le seul pays se réclamant officiellement de cette confession. Des poches ibadites existent sur la côte est-africaine, autrefois visitée par des navigateurs omanais, comme l'île de Zanzibar, en Tanzanie. Or, l'Afrique du Nord conserve aussi quelques zones ibadites : dans le Djebel Nefoussa en Libye, dans la Pentapole du M'Zab, en Algérie, et sur l'île de Djerba. À noter que ces territoires maghrébins sont tous berbères.
Houmt Souk, capitale de l'île, possède une intéressante bibliothèque privée [Al Barounia], dédiée aux personnes cherchant à se documenter sur l'Ibadisme et l'histoire de Djerba, comme l'explique son directeur, M. Said Barouni.
La mouvance ibadite est à l'origine du particularisme architectural des constructions djerbiennes, que ce soit dans le style des maisons ou celui des mosquées. La conception, adaptée au climat, utilise une remarquable pureté de lignes composées de carrés, de rectangles et de coupoles, sans fioritures inutiles. Anthropologiquement parlant, le carré symbolise la vie terrestre, tandis que la coupole, partie supérieure de l'œuf primordial, appartient à la voûte céleste divine. Le remarquable musée du patrimoine de Guellala, évoque d'ailleurs le symbolisme de l'offrande de l'œuf, comme faisant partie d'une tradition ancestrale locale. Une tradition qui se retrouve aussi dans la tradition provençale.
Mosquée de Tlet (côte sud de l'île)
Parallèlement à l'islam ibadite, Djerba conserve une importante communauté juive, qui semble reposer sur deux fondements historiques. Le premier est le plus ancien, puisque selon la tradition, comme l'explique Annie Kabla, des émigrés hébreux seraient arrivés sur l'île après la première destruction du Temple de Salomon (en 587 av. J.-C.), en voyageant sur des bateaux phéniciens. Il est utile de rappeler que le roi Salomon avait fait
Intérieur de La Ghriba
appel à un architecte phénicien, Hiram, pour la construction du temple de Jérusalem. Cet épisode historique est encore véhiculé par la Franc-maçonnerie. Cette première vague aurait alors fondé la célèbre synagogue de La Ghriba, qui, toujours selon la tradition hébraïque locale, conserverait quelques éléments du Temple de Salomon. Il est évident que ces premiers réfugiés juifs ont ensuite entrainé les indigènes amazighes à se convertir au judaïsme. Ce cas n'est pas unique, quand on pense aux communautés juives de l'Aurès, dont l'une des héroïnes historiques a été la célèbre Kahina. Quoi qu'il en soit, il y a toujours plusieurs synagogues à Djerba, destinées à la communauté juive locale. Un grand nombre de bijoutiers de Houmt Souk sont juifs et ferment donc boutique le samedi, jour du sabbat.
Église Saint-Joseph
Djerba abrite aussi une petite communauté chrétienne, héritière d'une émigration plus tardive, datant du XIXe. Au départ, elle était composée surtout de Siciliens et de Maltais, puis elle a été étayée ensuite par l'arrivée de fonctionnaires français à la période du protectorat. L'église Saint-Joseph de Djerba, à Houmt Souk, surnommée « l'église maltaise », est toujours en service et est aujourd'hui sous l'autorité d'un jeune prêtre italien, qui était auparavant au Liban ! Et puis, fait peu connu, Djerba a aussi attiré une petite colonie de Grecs, originaires de l'île de Kalymnos, où les
Église Saint-Nicolas
pêcheurs d'éponges sont réputés pour la plongée en apnée. Près du port d'Houmt Souk, on peut donc visiter une petite église orthodoxe grecque, gardée par Dimitri, le fils d'un descendant grec émigré. Construite aux alentours de 1890, cette église orthodoxe porte le nom de Saint-Nicolas, le patron des pêcheurs.
Après avoir rencontré des membres de chacune de ces communautés, qui tous se connaissent et s'apprécient, on acquiert un sentiment de paix intérieure, devenu si rare à notre époque. Et chacun d'évoquer sous couvert d'une sorte de crainte imperceptible, les nouveaux arrivants, fonctionnaires de l'État tunisien, ou représentants du tourisme, souvent de confession musulmane malékite, qui viennent bousculer l'ordre djerbien établi ! Un sentiment de peur, bien humain, qui appartient à chacun, mais qui, sur une île, se transforme en un écho interrogateur, quant à l'avenir de cette magnifique cohésion communautaire. 
Dans un fondouk (caravansérail)
à Houmt Souk
Cette constatation appelle une réflexion particulière, inhérente à la population majoritairement Amazighe de l'île de Djerba. Linguistiquement parlant, le district de Guellala, au sud, est la seule aire ayant conservé un dialecte berbère. L'Amazighité de l'île, se retrouve aussi dans l'ibadisme ou le judaïsme, qui représentent une originalité et une diversité appartenant à l'histoire et à la conception philosophique du monde par ceux que l'on connaît comme étant les « hommes libres » (traduction du terme Amazigh, au singulier, Imazighen, au pluriel). 
Djerba, n'est que le reflet d'un miroir maghrébin originel. On se sent soudain bien loin des conceptions divergentes, véhiculées par des groupes fanatiques de tous bords, qui empoisonnent la vie contemporaine. La pluralité djerbienne est unique. En vérité, il s'agit d'un modèle sociologique dont on serait bien inspirés d'imiter dans un esprit de tolérance et d'harmonie.
Christian Sorand

Djerba, les mosquées ibadites
    
Carte d l'île de Djerba
Chez un potier de Guellala
Minaret ibadite près de Guellala
Une place publique au centre d'Houmt Souk
Architecture djerbienne d'un fondouk.

Carnet d'adresses:




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