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Sunday, November 26, 2017

Le Temple de l'Aube [วัดอรุณ]

Wat Arun revisité
Wat Arun et le fleuve Chao Phraya au couchant.
Site iconique de la 'Cité des Anges', le Temple de l'Aube vient de faire peau neuve après plusieurs
Le nouveau visage de Wat Arun
mois de travaux de réfection. Outre le message symbolique légué par la construction de ce monument, sa longue rénovation indique à quel point la Thaïlande attache d'importance à son glorieux héritage. On s'aperçoit également qu'il existe encore ici des artistes capables de reproduire les gestes et les emblèmes transmis depuis des temps immémoriaux.
Par son histoire, par ses proportions et par son message architectural, le temple de l'Aube est donc bien un lieu apte à représenter la capitale royale du Siam.

L'histoire de Wat Arun.
L'histoire du temple remonte à la destruction de l'ancienne capitale royale d'Ayutthaya, détruite par les troupes birmanes. Le général des armées siamoises en déroute était devenu le nouveau monarque. Quand donc le roi Taksin est arrivé à Thonburi en 1768, sur la rive droite du fleuve Chao Phraya, le jour pointait et il eut une vision en voyant ce temple alors appelé 'Wat Makok'. Il l'a rebaptisé Wat Chaeng, le 'temple de l'Aube' en thaï. La nouvelle capitale fut donc établie à Thonburi.
Niche de la paroi
Le monastère a tout d'abord abrité le célèbre Bouddha d'émeraude [
พระแก้วมรกต, Phra Kaeo Morakot]. Cette célèbre statue en jadéite se trouvait à l'origine à Vientiane au Laos (Vat Phra Kèo). En 1778, après le siège de Vientiane, le général thaïlandais Chao Phraya Chakri emmena la statue à Thonburi. Elle se trouve dorénavant à Wat Phra Kaew, le sanctuaire du Grand Palais de Bangkok-Rattanakosin depuis 1784.
À la mort de 'Taksin le Grand' en 1782, une nouvelle dynastie, voit le jour, celle des Chakri. Il s'agit de la lignée des souverains modernes du royaume. Après le décès de Rama IX, en octobre 2016, son fils est devenu le nouveau monarque sous le titre de Rama X. Le premier en titre fut donc le général Chao Phraya Chakri devenu Rama I. Il décida de quitter la rive de Bangkok-Thonburi et de créer une nouvelle capitale de l'autre coté du fleuve, à Bangkok-Rattanakosin.
Le temple de l'Aube a été rénové bien plus tard, entre 1824 et 1851, sous le règne de Rama III. Le prang central (pagode de style khmer) est agrandi et décoré d'éclats de porcelaine destinés à briller au soleil levant. Le nom du sanctuaire dérive du dieu hindou Aruna (dieu de l'aube), celui qui accompagne les premiers rayons du soleil.
Plan du monastère en 3D.
Les proportions du temple.
Le temple de l'Aube est devenu l'édifice iconique de Bangkok par ses dimensions imposantes. Il
Détail d'un prang latéral.
existe deux entrées latérales sur chaque face, soit donc un total de huit accès différents. Le
prang central a une circonférence de 234m à la base et mesure environ 80m. (Sa hauteur varie toutefois selon les sources consultées.)
Cet imposant ensemble architectural est conçu sur un plan carré. Quatre prang latéraux marquent les angles, tandis qu'au centre se dresse un cinquième prang de proportion massive dominant l'édifice.
Trois terrasses donnent accès au prang central. Chacune représente une étape de la vie religieuse hindouiste. Le concept architectural revêt une signification symbolique comme c'est souvent le cas.

L'interprétation symbolique de son architecture.

Plan schématique du temple de l'Aube (Wat Arun)
Si la plupart des descriptions consultées reconnaissent la symbolique du temple, peu en font une analyse explicative.
Le schéma ci-dessus tente d'en résumer l'interprétation basée sur son plan, son orientation, et les différents symboles figurant dans les nombres ou la conception. Le symbolisme architectural demeure un legs du passé pour les générations futures. Le message de la pierre revêt donc une dimension tridimensionnelle en architecture.
3.1.Le plan.
Selon les critères orientaux, le plan carré est une base de fondation primordiale. Parmi les quatre
Un prang latéral
symboles universaux, le carré représente la terre. Par extension, il contient les quatre points cardinaux que l'on représente souvent par ce qu'il est convenu d'appeler la rose des vents. Dans la cosmogonie hindoue cette orientation joue un rôle majeur.
Les villes anciennes, comme les sanctuaires, épousent la forme d'un carré. C'est le cas par exemple de la villes chinoise de Xi'an ou de la Cité interdite de Beijing. La vieille ville de Chiang Mai, au nord de la Thaïlande, en est un autre exemple. Le même concept s'applique aux sanctuaires: Angkor Vat (au Cambodge) ou Borobodur (à Java). Il s'agit d'une représentation symbolique de l'élément terre. Or, dans une perspective religieuse thaïlandaise, c'est aussi l'image du mandala hindou.
3.2.L'orientation.
Le deuxième aspect d'importance concerne l'orientation du sanctuaire khmer auquel l'architecture de Wat Arun appartient. Le temple est orienté face à l'Est, dont le gardien est le dieu védique Indra.
Le schéma du temple de l'Aube, ci-dessus, fait donc état des directions. Ajoutons que les quatre enceintes du plan sont percées de deux portes, dont les principales sont à l'Est face au fleuve.
3.3.Les représentations symboliques.
Chacun des angles du quadrilatère possède un prang de style khmer. Ce trait caractérise un grand
Escalier du prang central.
nombre de sanctuaires thaïlandais. À Wat Arun, chaque
prang d'angle conserve l'image d'un des quatre dieux protégeant les quatre orientations terrestres.
Le prang principal se dresse au centre du plan. Il domine l'ensemble car il s'agit d'une représentation du mont Meru, montagne sacrée de l'Himalaya, axe de la Terre et passage du monde des mortels à celui des dieux. Les escaliers donnant accès aux terrasses sont d'une raideur exceptionnelle. Ils symbolisent la difficulté des efforts sur la voie du Nirvana. La structure du prang central est constituée de 3 terrasses successives surmontées de 3 sections supplémentaires. La première sert de base et représente les 31 royaumes de l'existence [Traiphum] ; la seconde [Tavatimsa] est celle du paradis gardé par Indra sous la forme de 4 petits prang ; le cône final [Devaphum] symbolise le sommet du mont Meru et est surmonté par « l'arme d'Indra » [vajra].
3.3.1.Les nombres : 1, 3, 4 et 5
-le nombre 1 est le Brahman, le concept de l'esprit cosmique suprême, créateur de la triade.
-le nombre 3 est le plus sacré car il représente la Triade hindoue : Brahma (le créateur), Vishnu (le conservateur) et Shiva (le destructeur). Cette incarnation est symbolisée par les trois terrasses d'accès au prang central.
-le nombre 4 représente les directions terrestres gardée par un dieu des vents: Kubera (au Nord), Yama (au Sud), Indra (à l'Est) et Varuna (à l'Ouest).
-le nombre 5 est celui des 5 éléments en Asie : bois, feu, eau, terre et métal ; c'est aussi la somme du yin (noir, principe féminin, porteur du chiffre 2) et du yang (blanc, principe masculin, porteur du chiffre 3). Dans l'hindouisme, le 5 est aussi le symbole du corps vivant et celui de la Terre.
3.3.2.Les formes architecturales. (voir le schéma proposé)
Céramique de la paroi.
On voit donc que cet ensemble architectural est une image symbolique du monde cosmique dont la Terre (le quadrilatère de l'enceinte) en est le miroir.
La forme circulaire du prang est un dérivé du cercle cosmique, sachant que la grande structure centrale (le point, axe du monde) est l'image du mont Meru, montagne sacrée de l'Hindouisme et du Bouddhisme.
Si à cela on ajoute les points cardinaux formant deux croix [ + et X], on obtient alors une évocation des quatre symboles universels primordiaux : le point, le cercle, la croix et le carré.
Une vue aérienne de l'ensemble révèle ainsi un gigantesque mandala (visible sur le schéma).
Frise du prang central faite de céramique.
3.3.3.Les symboles figuratifs.
Les statues entourant l'édifice appartiennent principalement à la mythologie hindoue. On a déjà évoqué la présence de la Triade ou des gardiens des points cardinaux. On y rencontre également Garuda, Ganesha, Erawan et une multitude de personnages mythiques.
Sculptures et faïences.
Il faut toutefois mentionner que le
prang central est surmonté par une sorte de fourche [vajra] représentant l'éclair, prérogative du dieu Indra. Cette arme surnaturelle possède 7 pointes, composées d'une pointe centrale et de 6 pointes latérales sur les 2 faces. Une tradition hindoue mentionne que le soleil a six rayons et qu'Indra a utilisé cette arme pour vaincre le Soleil. Ce détail mythologique évoque peut-être une nouvelle allégorie dans l'histoire du temple de l'Aube.
Les parois du sanctuaire sont décorées d'éclats de céramique.
Détail de décoration
Cette faïence provient des cargaisons des jonques chinoises remontant le fleuve pour le commerce. Un grand nombre de Chinois étaient en effet venus s'établir sur les rives du Chao Phraya. Cette population est à l'origine du Chinatown de Bangkok. Le roi Taksin était lui-même issu d'une famille qualifiée du terme sino-thaïlandaise. On comprend alors pourquoi certains éléments de Wat Arun rappellent la culture chinoise (les gardiens chinois situés à la base de l'édifice central). Il en va de même d'autres sanctuaires locaux sur la rive de Thonburi, tout particulièrement.

Il n'est donc pas surprenant si la rénovation de Wat Arun a nécessité plusieurs mois de patient travail. L'assemblage de la faïence chinoise décorant les parois a été refaite minutieusement. La couleur du monument est dorénavant crème. Wat Arun offre fièrement son nouveau visage sur la rive du Chao Phraya.
Vue nocturne de War Arun
Ajoutons que l'ensemble architectural fait partie d'un monastère de style thaï classique. Le hall d'assemblée [
uboshot] mérite la visite et possède de magnifiques peintures murales.
Les premiers rayons du soleil sur le fleuve continuent à faire scintiller la faïence de Wat Arun. Malgré tout, le meilleur moment pour contempler la majesté et l'élégance du sanctuaire est au coucher du soleil depuis la rive de Rattanakosin. C'est à ce moment-là que le cycle cosmique a bouclé sa course dans la plus belle magie visuelle et spirituelle, dont Wat Arun en est le reflet.
Christian Sorand


Une vue de Wat Arun avant sa rénovation depuis la rive gauche du Chao Phraya.

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