Wat
Arun revisité
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Wat Arun et le fleuve Chao Phraya au couchant. |
Site
iconique de la 'Cité des Anges', le Temple de l'Aube vient de faire
peau neuve après plusieurs
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Le nouveau visage de Wat Arun |
mois de travaux de réfection. Outre le
message symbolique légué par la construction de ce monument, sa
longue rénovation indique à quel point la Thaïlande attache
d'importance à son glorieux héritage. On s'aperçoit également
qu'il existe encore ici des artistes capables de reproduire les
gestes et les emblèmes transmis depuis des temps immémoriaux.
Par
son histoire, par ses proportions et par son message architectural,
le temple de l'Aube est donc bien un lieu apte à représenter la
capitale royale du Siam.
L'histoire
de Wat Arun.
L'histoire
du temple remonte à la destruction de l'ancienne capitale royale
d'Ayutthaya, détruite par les troupes birmanes. Le général des
armées siamoises en déroute était devenu le nouveau monarque.
Quand donc le roi Taksin est arrivé à Thonburi en 1768, sur la rive
droite du fleuve Chao Phraya, le jour pointait et il eut une vision
en voyant ce temple alors appelé 'Wat
Makok'.
Il l'a rebaptisé Wat
Chaeng,
le 'temple de l'Aube' en thaï. La nouvelle capitale fut donc établie
à Thonburi.
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Niche de la paroi |
Le
monastère a tout d'abord abrité le célèbre Bouddha d'émeraude
[พระแก้วมรกต,
Phra Kaeo Morakot].
Cette célèbre statue en jadéite
se trouvait à l'origine à Vientiane au Laos (Vat Phra Kèo). En
1778, après le siège de Vientiane, le général thaïlandais Chao
Phraya Chakri emmena la statue à Thonburi. Elle se trouve dorénavant
à Wat Phra Kaew, le sanctuaire du Grand Palais de
Bangkok-Rattanakosin depuis 1784.
À
la mort de 'Taksin le Grand' en 1782, une nouvelle dynastie, voit le
jour, celle des Chakri. Il s'agit de la lignée des souverains
modernes du royaume. Après le décès de Rama IX, en octobre 2016,
son fils est devenu le nouveau monarque sous le titre de Rama X. Le
premier en titre fut donc le général Chao Phraya Chakri devenu Rama
I. Il décida de quitter la rive de Bangkok-Thonburi et de créer une
nouvelle capitale de l'autre coté du fleuve, à
Bangkok-Rattanakosin.
Le
temple de l'Aube a été rénové bien plus tard, entre 1824 et 1851,
sous le règne de Rama III. Le prang
central (pagode de style khmer) est agrandi et décoré d'éclats de
porcelaine destinés à briller au soleil levant. Le nom du
sanctuaire dérive du dieu hindou Aruna
(dieu de l'aube), celui qui accompagne les premiers rayons du soleil.
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Plan du monastère en 3D. |
Les
proportions du temple.
Le
temple de l'Aube est devenu l'édifice iconique de Bangkok par ses
dimensions imposantes. Il
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Détail d'un prang latéral. |
existe deux entrées latérales sur chaque
face, soit donc un total de huit accès différents. Le prang
central a une circonférence de 234m à la base et mesure environ
80m. (Sa hauteur varie toutefois selon les sources consultées.)
Cet
imposant ensemble architectural est conçu sur un plan carré. Quatre
prang
latéraux marquent les angles, tandis qu'au centre se dresse un
cinquième prang
de proportion massive dominant l'édifice.
Trois
terrasses donnent accès au prang
central. Chacune représente une étape de la vie religieuse
hindouiste. Le concept architectural revêt une signification
symbolique comme c'est souvent le cas.
L'interprétation
symbolique de son architecture.
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Plan schématique du temple de l'Aube (Wat Arun) |
Si
la plupart des descriptions consultées reconnaissent la symbolique
du temple, peu en font une analyse explicative.
Le
schéma ci-dessus tente d'en résumer l'interprétation basée sur
son plan, son orientation, et les différents symboles figurant dans
les nombres ou la conception. Le symbolisme architectural demeure un
legs du passé pour les générations futures. Le message de la
pierre revêt donc une dimension tridimensionnelle en architecture.
3.1.Le
plan.
Selon
les critères orientaux, le plan carré est une base de fondation
primordiale. Parmi les quatre
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Un prang latéral |
symboles universaux, le carré
représente la terre. Par extension, il contient les quatre points
cardinaux que l'on représente souvent par ce qu'il est convenu
d'appeler la rose des vents. Dans la cosmogonie hindoue cette
orientation joue un rôle majeur.
Les
villes anciennes, comme les sanctuaires, épousent la forme d'un
carré. C'est le cas par exemple de la villes chinoise de Xi'an ou de
la Cité interdite de Beijing. La vieille ville de Chiang Mai, au
nord de la Thaïlande, en est un autre exemple. Le même concept
s'applique aux sanctuaires: Angkor Vat (au Cambodge) ou Borobodur
(à Java). Il s'agit d'une représentation symbolique de l'élément
terre. Or, dans une perspective religieuse thaïlandaise, c'est aussi
l'image du mandala
hindou.
3.2.L'orientation.
Le
deuxième aspect d'importance concerne l'orientation du sanctuaire
khmer auquel l'architecture de Wat Arun appartient. Le temple est
orienté face à l'Est, dont le gardien est le dieu védique Indra.
Le
schéma du temple de l'Aube, ci-dessus, fait donc état des
directions. Ajoutons que les quatre enceintes du plan sont percées
de deux portes, dont les principales sont à l'Est face au fleuve.
3.3.Les
représentations symboliques.
Chacun
des angles du quadrilatère possède un prang
de style khmer. Ce trait caractérise un grand
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Escalier du prang central. |
nombre de sanctuaires
thaïlandais. À Wat Arun, chaque prang
d'angle conserve l'image d'un des quatre dieux protégeant les quatre
orientations terrestres.
Le
prang
principal se dresse au centre du plan. Il domine l'ensemble car il
s'agit d'une représentation du mont Meru, montagne sacrée de
l'Himalaya, axe de la Terre et passage du monde des mortels à celui
des dieux. Les escaliers donnant accès aux terrasses sont d'une
raideur exceptionnelle. Ils symbolisent la difficulté des efforts
sur la voie du Nirvana.
La structure du prang
central est constituée de 3 terrasses successives surmontées de 3
sections supplémentaires. La première sert de base et représente
les 31 royaumes de l'existence [Traiphum] ;
la seconde [Tavatimsa]
est celle du paradis gardé par Indra sous la forme de 4 petits
prang ;
le cône final [Devaphum]
symbolise le sommet du mont Meru et est surmonté par « l'arme
d'Indra » [vajra].
3.3.1.Les
nombres : 1,
3, 4 et 5
-le
nombre
1
est le Brahman, le concept de l'esprit cosmique suprême, créateur
de la triade.
-le
nombre
3
est le plus sacré car il représente la Triade hindoue : Brahma
(le créateur), Vishnu
(le conservateur) et Shiva
(le destructeur). Cette incarnation est symbolisée par les trois
terrasses d'accès au prang
central.
-le
nombre
4
représente les directions terrestres gardée par un dieu des
vents: Kubera
(au Nord), Yama
(au Sud), Indra
(à l'Est) et Varuna
(à l'Ouest).
-le
nombre
5
est celui des 5 éléments en Asie : bois, feu, eau, terre et
métal ; c'est aussi la somme du yin (noir, principe féminin,
porteur du chiffre 2) et du yang (blanc, principe masculin, porteur
du chiffre 3). Dans l'hindouisme, le 5 est aussi le symbole du corps
vivant et celui de la Terre.
3.3.2.Les
formes architecturales. (voir
le schéma proposé)
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Céramique de la paroi. |
On
voit donc que cet ensemble architectural est une image symbolique du
monde cosmique dont la Terre (le quadrilatère de l'enceinte) en est
le miroir.
La
forme circulaire du prang
est un dérivé du cercle cosmique, sachant que la grande structure
centrale (le point, axe du monde) est l'image du mont
Meru,
montagne sacrée de l'Hindouisme et du Bouddhisme.
Si
à cela on ajoute les points cardinaux formant deux croix [ + et X],
on obtient alors une évocation des quatre symboles universels
primordiaux : le point, le cercle, la croix et le carré.
Une
vue aérienne de l'ensemble révèle ainsi un gigantesque mandala
(visible
sur le schéma).
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Frise du prang central faite de céramique. |
3.3.3.Les
symboles figuratifs.
Les
statues entourant l'édifice appartiennent principalement à la
mythologie hindoue. On a déjà évoqué la présence de la Triade ou
des gardiens des points cardinaux. On y rencontre également Garuda,
Ganesha, Erawan et une multitude de personnages mythiques.
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Sculptures et faïences. |
Il
faut toutefois mentionner que le prang
central est surmonté par une sorte de fourche [vajra]
représentant l'éclair, prérogative du dieu Indra. Cette arme
surnaturelle possède 7 pointes, composées d'une pointe centrale et
de 6 pointes latérales sur les 2 faces. Une tradition hindoue
mentionne que le soleil a six rayons et qu'Indra a utilisé cette
arme pour vaincre le Soleil. Ce détail mythologique évoque
peut-être une nouvelle allégorie dans l'histoire du temple de
l'Aube.
Les
parois du sanctuaire sont décorées d'éclats de céramique.
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Détail de décoration |
Cette
faïence provient des cargaisons des jonques chinoises remontant le
fleuve pour le commerce. Un grand nombre de Chinois étaient en effet
venus s'établir sur les rives du Chao Phraya. Cette population est à
l'origine du Chinatown de Bangkok. Le roi Taksin était lui-même
issu d'une famille qualifiée du terme sino-thaïlandaise. On
comprend alors pourquoi certains éléments de Wat Arun rappellent la
culture chinoise (les gardiens chinois situés à la base de
l'édifice central). Il en va de même d'autres sanctuaires locaux
sur la rive de Thonburi, tout particulièrement.
Il
n'est donc pas surprenant si la rénovation de Wat Arun a nécessité
plusieurs mois de patient travail. L'assemblage de la faïence
chinoise décorant les parois a été refaite minutieusement. La
couleur du monument est dorénavant crème. Wat Arun offre fièrement
son nouveau visage sur la rive du Chao Phraya.
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Vue nocturne de War Arun |
Ajoutons
que l'ensemble architectural fait partie d'un monastère de style
thaï classique. Le hall d'assemblée [uboshot]
mérite la visite et possède de magnifiques peintures murales.
Les
premiers rayons du soleil sur le fleuve continuent à faire
scintiller la faïence de Wat Arun. Malgré tout, le meilleur moment
pour contempler la majesté et l'élégance du sanctuaire est au
coucher du soleil depuis la rive de Rattanakosin. C'est à ce
moment-là que le cycle cosmique a bouclé sa course dans la plus
belle magie visuelle et spirituelle, dont Wat Arun en est le reflet.
Christian
Sorand
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Une vue de Wat Arun avant sa rénovation depuis la rive gauche du Chao Phraya. |