Prachuap Khiri Khan:
Le sanctuaire du pilier fondateur (City Pillar Shrine)
En Asie du Sud-Est, la fondation d’une ville se marque par un pilier. Selon les convictions locales, cela donne ensuite naissance à un culte basé sur d’anciennes croyances animistes. On construit alors un sanctuaire pour abriter cet acte de procréation, souvent assimilé à un culte phallique.
De tels lieux existent à Bangkok (pour la fondation de Rattanakosin), à Sanam Luang (le parc royal) où se trouve le Grand Palais. Vientiane, au Laos, possède également le sien.
Détail décoratif d'un des quatre sanctuaires latéraux |
Le monument du pilier fondateur de Prachuap Khiri Khan est parfois cité comme l’un des plus beaux du pays. Il est vrai que son architecture et le soin apporté aux proportions harmonieuses du square où il a été érigé, illustrent l’esthétique du monument.
Or, si on étudie d’un peu plus près la conception architecturale, en relation aux principes religieux du pays, on s’aperçoit
alors de l’ingéniosité du concepteur. Car, derrière l’apparence monumentale, se cachent des fondements symboliques spirituels. Ces derniers se rattachent aux concepts universaux déjà observés.
Chemin d'accès au prang central |
L’apparence.
Le monument est mis en valeur dans un jardin à la française où les éléments naturels tiennent une place destinée à rehausser l’édifice central. Des jardiniers tondent les pelouses, taillent les arbres, les arbustes et les haies, arrosent les fleurs.
Le sanctuaire a été conçu dans le style architectural de Lopburi, inspiré par les Khmers. Il y a donc un prang central, entouré de quatre plus petits prang. Comme pour le temple d’Angkor-Vat, au Cambodge, le prang est une représentation symbolique du Mont Meru, la montagne sacrée de l’hindouisme et du bouddhisme. Le choix d’un revêtement brun foncé met en valeur la qualité de la construction.
Le pilier fondateur se trouve à l’intérieur du prang central, dont les quatre portes sont ouvertes aux quatre directions.
La réalité symbolique sous-jacente.
Il faut alors s’interroger sur les raisons de bâtir un tel édifice et de le maintenir dans une apparence immaculée, digne d’un lieu de culte.
L’architecture traditionnelle puise ses sources dans des acquits religieux. Ils sont ensuite reproduits dans les proportions géométriques ou arithmétiques, adaptés aux principes techniques de la construction d’un édifice.
Or, une observation plus détaillée de l’ensemble permet d’identifier ces deux données mathématiques.
1.Les proportions géométriques. L’espace naturel de l’ensemble forme un jardin ayant la forme d’un quadrilatère. Mais cet ensemble architectural est surélevé: on y accède par quelques marches.
Les angles de la section en carrée |
-Un premier chemin piétonnier entoure l’ensemble du périmètre, soulignant ainsi la géométrie du carré.
-Le jardin proprement dit se trouve donc à l’intérieur d’un deuxième quadrilatère. Dans le monde occidental, le carré présente quatre pointes en équerre. L’art asiatique renâcle les angles, en leur préférant des formes courbes. Les angles droits du carré central ont donc laissé place à un arrondi en demi-cercle.
-L’image du quadrilatère se répète deux fois encore: pour la plateforme soutenant l’édifice central, puis pour accéder au
sanctuaire proprement dit.
2e plateforme du prang |
-Les allées piétonnières centrales forment un cadran en forme de rose des vents: + et x.
-Le + délimite les quatre points cardinaux habituels: Nord-Sud-Est-Ouest. Notons que l’on accède à l’espace menant au sanctuaire par l’Est (soleil levant). Ainsi, la plateforme du prang central présente quatre séries d’escaliers, menant aux quatre portes ouvertes du sanctuaire.
-Par contre les allées en x sont délimitées par les quatre petits prang. Chacun d’eux est un sanctuaire spécifique dédié à une divinité.
-La conception circulaire du prang s’oppose donc aux figures en carrés précédentes. Le carré représente symboliquement la Terre, alors que le cercle est l’image de l’univers, du cosmos, du Ciel.
On peut alors concevoir l’espace géométrique de la manière suivante: le jardin entretenu par l’homme est un don de la terre, sur lequel l’homme bâtit son cadre de vie (représenté par la plateforme), et c’est donc au centre de cet espace vital, qu’il élève un monument destiné à remercier la divinité céleste. En fait, il s’agit d’une sorte d’horloge symbolique où le bas retrouve le haut dans une sorte d’œuf primordial reconstitué.
La quadrature du cercle est donc complète.
2.Les proportions arithmétiques. Voyons donc maintenant ce que l’arithmétique révèle d’une autre manière.
Les chiffres premiers sont divisés en chiffres pairs et en chiffres impairs. Le pair caractérise le monde profane identifié au
carré (4), tandis que l’impair appartient au sacré dont le cercle en est l’illustration (pi: π). Les nombres impairs sont donc: 3, 5, 7 et 9. Toutes les conceptions spirituelles universelles font appel à ce principe.
Sanctuaire latéral |
Dans le cas du monument du pilier fondateur, voici ce que l’on observe.
-On a déjà signalé la présence de 3 carrés, ayant chacun une fonction propre.
-Il y a un prang central, entouré de quatre autres prang plus petits. Cela donne un ensemble de 5 sanctuaires, chiffre sacré pour le bouddhisme Theravada.
Détail du prang central |
-Le prang central, aux quatre portes, est une représentation du 1, le Mont Meru, qui symbolise le royaume des dieux. En fait, le pilier fondateur qu’il abrite n’est rien d’autre que la forme matérialisée du Un. L’or qui le recouvre indique la valeur qui est due aux divinités.
-Si l’on se penche encore sur l’architecture du prang central, on peut y ajouter d’autres observations. L’assise cubique appartient bien au monde terrestre. Mais en s’élevant les formes s’arrondissent au fur et à mesure qu’elles atteignent le dôme final faisant alors office de voûte céleste.
-Le prang se décompose en 7 sections, mais si on y ajoute la salle du sanctuaire contenant le pilier et la coupole finale, on obtient alors 9, chiffre particulièrement sacré pour les bouddhistes.
On voit donc que les proportions respectées par l’architecte sont en accord avec la symbolique de ce type de monument religieux. Ce qui est particulièrement intéressant, est le fait qu’il s’agit d’un monument récent, et que donc les perspectives originales aient pu être perpétrées selon des préceptes ancestraux.
Christian Sorand
Vue du jardin |
Le pilier de fondation de la ville |