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Monday, December 14, 2015

'OSIRIS', exposition de l'Institut du Monde Arabe

Cette magnifique exposition organisée par l'Institut du Monde Arabe à Paris met en scène l'un des principaux mythes du panthéon égyptien. Baptisée 'OSIRIS, Mystères engloutis d'Égypte', elle
L'IMA à Paris
dévoile des objets inédits trouvés au fond de la baie d'Aboukir, dans le delta du Nil, à proximité de la ville d'Alexandrie. Les vestiges remontés à la surface ont permis de reconstituer avec précision les rites du culte osirien et de connaître plus précisément les secrets des cérémonies consacrées aux mystères du culte d'Osiris.
Le parcours de l'exposition conduit le visiteur dans l'univers du culte osirien au travers d'un itinéraire jalonné d'explications et d'oeuvres d'art restaurées avec soin et formidablement mises en valeur. Véritable fil d'Ariane, cet itinéraire initiatique se fait autour de trois thèmes.
Le mythe et ses protagonistes.
- Les sites des découvertes éclairant le rite de la célébration des mystères d'Osiris.
- L'évolution et l'adaptation du mythe.
Le profane qui prend le temps d'en suivre la trace pas à pas, en ressort captivé. 
La réflexion et la description suivantes sont basées sur une visite de l'exposition, appuyée d'une lecture du catalogue (BeauxArts éditions) ainsi que de plusieurs autres sources citées en références.

La légende d'Osiris

«Osiris, fils de la Terre et du Ciel, fut tué par son frère Seth. Ce dernier démembra le corps d’Osiris
Osiris
en 14 morceaux avant de le jeter dans le Nil. Isis, sœur-épouse d’Osiris, grâce à ses pouvoirs divins, remembra son corps, avant de lui rendre la vie et de concevoir leurs fils : Horus. Osiris devint alors le Maître de l’Au-delà et Horus, victorieux de Seth, eût l’Égypte en héritage.
On avait connaissance grâce à la stèle, dite de Canope (238 av. J.-C.), découverte en 1881 à Kom el-Hisn que dans le grand temple d’Amon Géreb, d’une ville nommée Héracléion, étaient célébrées, comme dans la plupart des villes d’Égypte, les cérémonies des Mystères d’Osiris. Elles se terminaient, selon le texte de la stèle, par une longue procession nautique sur les canaux qui emmenait Osiris du temple d’Amon Géreb à son sanctuaire de la ville de Canope. »
"Le mythe d'Osiris, de son épouse et de leur fils recouvre tous les thèmes chers aux Égyptiens: la famille, l'amour, la mort et la résurrection, la justice... [..] Articulé autour de la triade Osiris-Isis-Horus, le mythe osirien raconte également l'histoire d'un déséquilibre". [Thibault Panis, catalogue]
Le premier élément ressortant de ce mythe est donc celui d'une triade: époux-épouse-enfant. Or ce phénomène existe déjà dans l'hindouisme dans la triade Brahmâ-Vishnou-Shiva. Il s'agit de ce fonds indo-européen étudié par Georges Dumézil. Le Christianisme fait une large place au mystère de la Trinité (Père-Fils-Saint-Esprit), étant un autre héritier des triades théologiques indo-européennes.
On sait également qu'Alexandrie fut fondée en 332 av. J.-C. par Alexandre le Grand. Or l'exposition présente des pièces provenant du site englouti au VIIIe siècle de notre ère, qui est celui d'une double cité Thônis-Héracléion, à la fois égyptienne et grecque. On constate alors une nouvelle fois l'importance des échanges culturels et religieux d'une civilisation à l'autre, jusqu'aux Romains qui avaient fini par adopter le culte d'Osiris dans leur panthéon où régnait déjà une autre triade: celle de Jupiter-Minerve-Junon.
Un texte de l'exposition montre à quel point cette continuité culturo-religieuse s'établit dans les trois cultures égyptienne, puis grecque et enfin romaine.

Osiris & Isis à l'enfant
Horus protégeant Pharaon
L'oeil d'Horus
L'histoire d'une passion
















                                                 Oeil d'Horus
Apis, taureau sacré

Thouéris, déesse de la fécondité et de la fertilité
Cette exposition égyptienne m'a rappelé un poème de Jacques Prévert que j'ai relu et analysé dans un contexte historique inhérent au mythe et aux mystères d'Osiris.

Osiris Ou La Fuite En Égypte

C'est la guerre c'est l'été
Déjà l'été encore la guerre
Et la ville isolée désolée
Sourit sourit encore
Sourit sourit quand même
De son doux regard d'été
Sourit doucement à ceux qui s'aiment
C'est la guerre c'est l'été
Un homme avec une femme
Marchent dans un musée désert
Ce musée c'est le Louvre
Cette ville c'est Paris
Et la fraicheur du monde
Est là tout endormie
Un gardien se réveille en entendant les pas
Appuie sur un bouton et retombe dans son rêve
Cependant qu'apparaît dans sa niche de pierre
La merveille de l'Égypte debout dans sa lumière
La statue d'Osiris vivante dans le bois mort
Vivante à faire mourir une nouvelle fois de plus
Toutes les idoles mortes des églises de Paris
Et les amants s'embrassent
Osiris les marie
Et puis rentre dans l'ombre
De sa vivante nuit.
Jacques Prévert

Interprétation du poème selon le mythe :
Dans cette ville de Paris, alors ravagée par la guerre, il y a un musée (et ce pourrait bien être la section égyptienne du Louvre). Le 'musée' de Prévert est à la fois surréaliste et symbolique. C'est celui des 'muses', inspiratrices de l'Art et donc de la poésie. Ce musée est également le réceptacle d'une troublante continuité entre passé et présent. Les dieux ne sont-ils pas par définition immortels ? Ainsi, ce lieu devient un refuge, entouré d'un halo de mystère, ténébreux, silencieux. C'est « un musée-désert ». Le terme 'désert' revêt lui aussi un double sens. Ce n'est pas seulement l'image abstraite de la solitude, mais aussi celle bien concrète d'un 'désert' géographique. Le titre du poème localise déjà ce désert, car « la fuite en Égypte » rappelle l'épisode biblique de la vie du Christ. Certes, ici cette 'fuite' est une échappatoire à la 'guerre'. Elle invoque une chaleur similaire à celle de 'l'été'. Une chaleur procréatrice puisque l'été porte les fruits d'une conception engendrée au printemps. Si l'Égypte est le lieu originel évoqué, c'est parce qu'il définit idéalement la source de toutes les cultures méditerranéennes. L'image du mythe d'Osiris et de ses mystères antiques plane alors dans ce musée-cocon. La chrysalide de « la statue d'Osiris vivante dans le bois mort » perpétue les contrastes ombre/lumière et mort/vivant. Le mystère osirien est évoqué par l'expression « vivante à faire mourir ». Car le mythe d'Osiris est bien celui d'une résurrection après la mort. « Les idoles mortes des églises de Paris » soulignent ainsi le lien entre un lointain passé et un présent où 'les idoles' représentent la décadence moderne ('les églises de Paris') d'un monde dévasté par la guerre puisqu'elles sont 'mortes'. Ainsi, le mythe antique d'Osiris, où la divinité apparaît « debout dans sa lumière », évoque le feu de l'Olympe venant sauver la folie des mortels.
La statue d'Osiris vivante dans le bois mort
Vivante à faire mourir une nouvelle fois de plus
Toutes les idoles mortes des églises de Paris
L'expression 'une nouvelle fois de plus' souligne la promesse du cycle du renouveau. Le poème de Prévert est donc un miroir à deux faces. Il est à la fois moderne (« cette ville c'est Paris ») et ancien (« la statue d'Osiris »). Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que le mythe égyptien d'Osiris est également celui d'une triade : Osiris-Isis-Horus. Prévert fait donc un parallèle entre l'Égypte antique ('Osiris') et le christianisme ('la fuite en Égypte'). Le mystère chrétien de la Trinité trouve un écho dans celui du mythe osirien. Le poème met d'ailleurs en scène trois protagonistes indéfinis : un homme, une femme et un gardien. Cette triade intemporelle ressemble étrangement à celle du mythe osirien. De plus, l'ordre d'apparition fait penser à la Genèse biblique : le mythe d'Adam et Ève. Le mythe égyptien ou le mythe chrétien sont une apologie de l'Amour, de la procréation et donc d'une naissance, voire d'une renaissance universelle. Les rites funéraires du bassin méditerranéen trouvent leur origine dans l'image de la graine plantée dans la terre et renaissant au printemps. Dans ce rite, le défunt est mis en terre dans l'attente d'une résurrection. Le lien une fois établi définit alors l'espoir d'une renaissance comme dans le mythe d'Isis et d'Osiris. Alors l''homme' du poème de Prévert devient aussi un double vivant d'Osiris, alors que la 'femme' reflète l'image d'Isis. Quant au 'gardien' qui « se réveille en entendant les pas », il s'apparente à l'image du faucon, emblème d'Horus, fils d'Isis et d'Osiris. L'œil protecteur d'Horus, blessé au combat qui l'oppose à son oncle Seth, veille sur la résurrection d'Osiris, puis ultérieurement sur celui de Pharaon. Ne faut-il pas voir là l'origine du mauvais œil ? Dans son ouvrage intitulé 'Les Piliers d'Hercule' ['The Pillars of Hercules'] relatant son périple autour de la Méditerranée, Paul Theroux remarque à juste titre que le mauvais œil est une obsession omniprésente du bassin méditerranéen. Quoi qu'il en soit, le musée de Prévert devient un temple où le dieu Osiris peut 'marier' les 'amants' qui 's'embrassent'. Et à l'issue de cette cérémonie, le dieu, 'merveille de l'Égypte', s'éclipse « et puis rentre dans l'ombre / de sa vivante nuit ». Tous les mystères osiriens 'retombent' ensuite 'dans le rêve' et 'rentrent dans l'ombre'.
Voici donc comment la vision surréaliste de Prévert sublime les mystères osiriens au travers d'un cadre en apparence moderne. En visitant l'exposition organisée par l'Institut du Monde Arabe, il semblait intéressant d'en faire un parallèle avec le poème de Jacques Prévert.
Christian Sorand

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