Cette magnifique exposition organisée par l'Institut du Monde Arabe à Paris met en scène l'un des principaux mythes du panthéon égyptien. Baptisée 'OSIRIS, Mystères engloutis d'Égypte', elle
L'IMA à Paris |
dévoile des objets inédits trouvés au fond de la baie d'Aboukir, dans le delta du Nil, à proximité de la ville d'Alexandrie. Les vestiges remontés à la surface ont permis de reconstituer avec précision les rites du culte osirien et de connaître plus précisément les secrets des cérémonies consacrées aux mystères du culte d'Osiris.
Le parcours de l'exposition conduit le visiteur dans l'univers du culte osirien au travers d'un itinéraire jalonné d'explications et d'oeuvres d'art restaurées avec soin et formidablement mises en valeur. Véritable fil d'Ariane, cet itinéraire initiatique se fait autour de trois thèmes.
- Le
mythe et ses protagonistes.
- Les
sites des découvertes éclairant le rite de la célébration des mystères
d'Osiris.
- L'évolution
et l'adaptation du mythe.
Le profane qui prend le temps d'en suivre la trace pas à pas, en ressort captivé.
La réflexion et la description suivantes sont basées sur une visite de l'exposition, appuyée d'une lecture du catalogue (BeauxArts éditions) ainsi que de plusieurs autres sources citées en références.
La légende d'Osiris
«Osiris,
fils de la Terre et du Ciel, fut tué par son frère Seth. Ce dernier
démembra le corps d’Osiris
Osiris |
On
avait connaissance grâce à la stèle, dite de Canope (238 av.
J.-C.), découverte en 1881 à Kom el-Hisn que dans le grand temple
d’Amon Géreb, d’une ville nommée Héracléion, étaient
célébrées, comme dans la plupart des villes d’Égypte, les
cérémonies des Mystères d’Osiris. Elles se terminaient, selon le
texte de la stèle, par une longue procession nautique sur les canaux
qui emmenait Osiris du temple d’Amon Géreb à son sanctuaire de la
ville de Canope. »
"Le mythe d'Osiris, de son épouse et de leur fils recouvre tous les thèmes chers aux Égyptiens: la famille, l'amour, la mort et la résurrection, la justice... [..] Articulé autour de la triade Osiris-Isis-Horus, le mythe osirien raconte également l'histoire d'un déséquilibre". [Thibault Panis, catalogue]
Le premier élément ressortant de ce mythe est donc celui d'une triade: époux-épouse-enfant. Or ce phénomène existe déjà dans l'hindouisme dans la triade Brahmâ-Vishnou-Shiva. Il s'agit de ce fonds indo-européen étudié par Georges Dumézil. Le Christianisme fait une large place au mystère de la Trinité (Père-Fils-Saint-Esprit), étant un autre héritier des triades théologiques indo-européennes.
On sait également qu'Alexandrie fut fondée en 332 av. J.-C. par Alexandre le Grand. Or l'exposition présente des pièces provenant du site englouti au VIIIe siècle de notre ère, qui est celui d'une double cité Thônis-Héracléion, à la fois égyptienne et grecque. On constate alors une nouvelle fois l'importance des échanges culturels et religieux d'une civilisation à l'autre, jusqu'aux Romains qui avaient fini par adopter le culte d'Osiris dans leur panthéon où régnait déjà une autre triade: celle de Jupiter-Minerve-Junon.
Un texte de l'exposition montre à quel point cette continuité culturo-religieuse s'établit dans les trois cultures égyptienne, puis grecque et enfin romaine.
Osiris & Isis à l'enfant |
Horus protégeant Pharaon |
L'oeil d'Horus |
L'histoire d'une passion |
Apis, taureau sacré |
Thouéris, déesse de la fécondité et de la fertilité |
Cette exposition égyptienne m'a rappelé un poème de Jacques Prévert que j'ai relu et analysé dans un contexte historique inhérent au mythe et aux mystères d'Osiris.
Osiris
Ou La Fuite En Égypte
C'est
la guerre c'est l'été
Déjà
l'été encore la guerre
Et
la ville isolée désolée
Sourit
sourit encore
Sourit
sourit quand même
De
son doux regard d'été
Sourit
doucement à ceux qui s'aiment
C'est
la guerre c'est l'été
Un
homme avec une femme
Marchent
dans un musée désert
Ce
musée c'est le Louvre
Cette
ville c'est Paris
Et
la fraicheur du monde
Est
là tout endormie
Un
gardien se réveille en entendant les pas
Appuie
sur un bouton et retombe dans son rêve
Cependant
qu'apparaît dans sa niche de pierre
La
merveille de l'Égypte debout dans sa lumière
La
statue d'Osiris vivante dans le bois mort
Vivante
à faire mourir une nouvelle fois de plus
Toutes
les idoles mortes des églises de Paris
Et
les amants s'embrassent
Osiris
les marie
Et
puis rentre dans l'ombre
De
sa vivante nuit.
Jacques
Prévert
Interprétation
du poème selon le mythe :
Dans
cette ville de Paris, alors ravagée par la guerre, il y a un musée
(et ce pourrait bien être la section égyptienne du Louvre). Le
'musée'
de Prévert est à la fois surréaliste et symbolique. C'est celui
des 'muses',
inspiratrices de l'Art et donc de la poésie. Ce musée est également
le réceptacle d'une troublante continuité entre passé et présent.
Les dieux ne sont-ils pas par définition immortels ? Ainsi, ce
lieu devient un refuge, entouré d'un halo de mystère, ténébreux,
silencieux. C'est « un musée-désert ». Le terme
'désert'
revêt lui aussi un double sens. Ce n'est pas seulement l'image
abstraite de la solitude, mais aussi celle bien concrète d'un
'désert' géographique. Le titre du poème localise déjà ce
désert, car « la
fuite en Égypte »
rappelle l'épisode biblique de la vie du Christ. Certes, ici cette
'fuite'
est une échappatoire à la 'guerre'.
Elle invoque une chaleur similaire à celle de 'l'été'.
Une chaleur procréatrice puisque l'été porte les fruits d'une
conception engendrée au printemps. Si l'Égypte est le lieu originel
évoqué, c'est parce qu'il définit idéalement la source de toutes
les cultures méditerranéennes. L'image du mythe d'Osiris et de ses
mystères antiques plane alors dans ce musée-cocon. La chrysalide de
« la
statue d'Osiris vivante dans le bois mort »
perpétue les contrastes ombre/lumière et mort/vivant. Le mystère
osirien est évoqué par l'expression « vivante
à faire mourir ».
Car le mythe d'Osiris est bien celui d'une résurrection après la
mort. « Les
idoles mortes des églises de Paris »
soulignent ainsi le lien entre un lointain passé et un présent où
'les
idoles'
représentent la décadence moderne ('les
églises de Paris')
d'un monde dévasté par la guerre puisqu'elles sont 'mortes'.
Ainsi, le mythe antique d'Osiris, où la divinité apparaît « debout
dans sa lumière »,
évoque le feu de l'Olympe venant sauver la folie des mortels.
La
statue d'Osiris vivante dans le bois mort
Vivante
à faire mourir une nouvelle fois de plus
Toutes
les idoles mortes des églises de Paris
L'expression
'une
nouvelle fois de plus'
souligne la promesse du cycle du renouveau. Le poème de Prévert est
donc un miroir à deux faces. Il est à la fois moderne (« cette
ville c'est Paris »)
et ancien (« la
statue d'Osiris »).
Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que le mythe égyptien
d'Osiris est également celui d'une triade : Osiris-Isis-Horus.
Prévert fait donc un parallèle entre l'Égypte antique ('Osiris')
et le christianisme ('la
fuite en Égypte').
Le mystère chrétien de la Trinité trouve un écho dans celui du
mythe osirien. Le poème met d'ailleurs en scène trois protagonistes
indéfinis : un homme, une femme et un gardien. Cette triade
intemporelle ressemble étrangement à celle du mythe osirien. De
plus, l'ordre d'apparition fait penser à la Genèse biblique :
le mythe d'Adam et Ève. Le mythe égyptien ou le mythe chrétien
sont une apologie de l'Amour, de la procréation et donc d'une
naissance, voire d'une renaissance universelle. Les rites funéraires
du bassin méditerranéen trouvent leur origine dans l'image de la
graine plantée dans la terre et renaissant au printemps. Dans ce
rite, le défunt est mis en terre dans l'attente d'une résurrection.
Le lien une fois établi définit alors l'espoir d'une renaissance
comme dans le mythe d'Isis et d'Osiris. Alors l''homme'
du poème de Prévert devient aussi un double vivant d'Osiris, alors
que la 'femme'
reflète l'image d'Isis. Quant au 'gardien'
qui « se
réveille en entendant les pas »,
il s'apparente à l'image du faucon, emblème d'Horus, fils d'Isis
et d'Osiris. L'œil protecteur d'Horus, blessé au combat qui
l'oppose à son oncle Seth, veille sur la résurrection d'Osiris,
puis ultérieurement sur celui de Pharaon. Ne faut-il pas voir là
l'origine du mauvais œil ? Dans son ouvrage intitulé 'Les
Piliers d'Hercule' ['The
Pillars of Hercules']
relatant son périple autour de la Méditerranée, Paul Theroux
remarque à juste titre que le mauvais œil est une obsession
omniprésente du bassin méditerranéen. Quoi qu'il en soit, le musée
de Prévert devient un temple où le dieu Osiris peut 'marier'
les 'amants'
qui 's'embrassent'.
Et à l'issue de cette cérémonie, le dieu, 'merveille
de l'Égypte',
s'éclipse « et
puis rentre dans l'ombre / de
sa vivante nuit ».
Tous les mystères osiriens 'retombent'
ensuite 'dans
le rêve'
et 'rentrent
dans l'ombre'.
Voici
donc comment la vision surréaliste de Prévert sublime les mystères
osiriens au travers d'un cadre en apparence moderne. En visitant
l'exposition organisée par l'Institut du Monde Arabe, il semblait
intéressant d'en faire un parallèle avec le poème de Jacques
Prévert.
Christian
Sorand
No comments:
Post a Comment