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Friday, January 8, 2016

Réflexions sur le mode de vie dans l'Isan

Le véhicule laisse une trainée de poussière rouge sur la piste de latérite. En ce début d'année, la sécheresse a envahi un paysage comparable à celui de la brousse. Quelques arbres, des buissons poussiéreux et de hautes herbes jaunies par le soleil rendent la platitude du paysage semblable à la traversée d'une zone africaine semi aride. Et pourtant ici, l'eau ne manque pas. Il y a celle de la nappe
La campagne de l'Isan
phréatique ; et puis celle, occasionnelle, de petits étangs servant de réservoirs. Par endroits, la piste devient de la tôle ondulée comme pour confirmer cette troublante illusion d'Afrique. Or, même dans ce paysage de bout du monde, l'impression n'est que passagère. Car ici les villages ne manquent pas. Ils ne sont jamais très éloignés les uns des autres. Alors, en traversant l'une de ces communautés villageoises, l'illusion initiale s'estompe comme si cela avait été un mirage. On passe devant des maisons de bois sur pilotis ; des voitures en bon état, garées en ordre ; quelques boutiques, et puis surtout des bâtiments administratifs et quelques temples bouddhistes. Aucun doute : on est tout simplement dans une Asie profonde, à mille lieues des gratte-ciel et des zones urbaines embouteillées.
La campagne de l'Isan est densément peuplée. Les villages ne sont jamais très éloignés. En cette saison sèche, les rizières sont invisibles. La zone décrite se situe à une cinquantaine de kilomètres au sud du Mékong. Si ces villages ne respirent pas le bien-être ostentatoire des villes, ils n'offrent pas pour autant une impression de misère absolue, comme en terre africaine. La base nourricière est le riz, bien sûr. L'Isan est le grenier à riz de la Thaïlande. Quelques troupeaux apportent la viande de bœuf ; il y a également le porc, le poulet et donc les oeufs. Les arbres fournissent des fruits : papayes, bananes, grenades ou mangues en saison. Il y a même du poisson. Aussi loin qu'on puisse être du Mékong ou d'un autre cours d'eau majeur, les étangs, les réservoirs sont nombreux dans l'Isan et ils recèlent toujours une quantité de poissons d'eau douce. Certains en ont même fait un commerce en créant des bassins d'élevage. Cette région possède
Marais salant
d'ailleurs une bien troublante curiosité naturelle. On y trouve en effet une zone de marais salant. Or on est à des centaines de kilomètres de la mer. Interrogé sur ce phénomène, un paysan explique le mécanisme. Les profondeurs terrestres recèlent une poche d'eau salée qui est pompée dans les bassins et où le sel se dépose naturellement avec l'évaporation de l'eau. Le sel n'est pourtant pas un ingrédient de cuisine. Toutefois, le poisson est souvent conservé dans le sel. Partout ailleurs, il y a de l'eau douce à proximité. Au beau milieu de cette campagne d'apparence aride, on peut même y faire un potager par le biais d'un arrosage programmé. On récolte alors  tomates,
Étang entre 2 villages
salades, choux, ignames, carottes, oignons verts, chilis.
Tous ces légumes sont parfois vendus sur de petits étales de-ci, delà. Les habitudes alimentaires de l'Isan ont leurs caractéristiques, loin de la sophistication de la cuisine thaïe. C'est une cuisine paysanne, sans fioriture, épicée et adaptée au contexte environnant. Car, il est bon de le souligner, l'Isan, au nord-est de la Thaïlande, est à la fois la plus vaste et la plus peuplée des provinces du royaume. Cet immense territoire, s'étalant du sud à l'ouest de la courbe du Mékong, possède une frontière commune avec le Laos, dont la culture, la langue, la cuisine et la musique sont proches. La partie orientale sud reçoit une influence cambodgienne, comme en témoignent les nombreux vestiges khmers que l'on trouve dans la région de Surin. Il s'agit d'une autre Thaïlande, bien différente du cliché touristique habituel.
Que l'on ne s'y trompe pas néanmoins. Malgré, sa spécificité culturelle et linguistique, le drapeau thaïlandais, aux mêmes couleurs que notre drapeau tricolore, flotte ici un peu partout. C'est d'ailleurs l'un des aspects manifeste. En traversant les villages, il n'y a peut-être pas toujours un poste de police ou une antenne médicale, mais il y a chaque fois un bâtiment administratif, et surtout une école, vaste, bien entretenue avec un grand terrain de sport, où les enfants du village viennent jouer au ballon (foot ou hand). Ceci est le signe apparent de l'extraordinaire organisation de la société thaïe, régie par une formidable infrastructure administrative. Même le courrier postal arrive à destination dans des fermes isolées grâce au facteur doté d'une mobylette !
Les pistes de latérite sont certes une caractéristique de l'Isan. Or le réseau routier principal, dense et
Jeunes enfants d'un village
plutôt bien entretenu, n'est jamais très éloigné. Chaque village est doté d'électricité. Il y a souvent à proximité une antenne destinée à relayer les réseaux de télécommunications (télévision et téléphones portables). Poste de télé, frigidaire et même machine à laver, font partie de la plupart des cellules familiales. L'eau potable est distribuée dans de grandes bonbonnes livrées à la demande. La nuit venue, on s'assure souvent de dormir sous la protection d'une moustiquaire. Quant à la couverture médicale, octroyée par un vaste réseau de cliniques, elle est quasiment gratuite (on ne paye que quelques bahts).
Alors, on voit bien que l'impression ressentie à priori, est somme toute assez éloignée de celle que l'on a quand on est au cœur de la brousse africaine. Malgré la relative pauvreté, les gens affichent un certain bonheur étayé par des liens familiaux étroits et par une vie communautaire basée sur l'entraide et le respect des conventions inspirées par le Bouddhisme. Et même en ces lieux reculés, l'étranger reçoit toujours un accueil simple et hautement chaleureux.

Christian Sorand,

Isan,Thaïlande, janvier 2016.

Coucher de soleil sur la cmpagne

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