La
Parure féminine maghrébine
Miroir
d'argent, reflet d'un héritage ancestral
L'IMA
(Institut
du Monde Arabe)
a présenté une collection privée remarquable (appartenant à J.-F.
& M.-L. Bouvier) à laquelle je me devais d'assister. Le but
était de pouvoir étayer et documenter les parures anciennes et
traditionnelles du Maghreb.
Couverture du catalogue |
La
collection portait le titre « Des
Trésors à porter – Bijoux et Parures du Maghreb ».
L'IMA en a conservé utilement une trace en éditant un catalogue
retraçant la richesse des pièces présentées. On constate à quel
point la géométrie et les matériaux utilisés offrent une forte
unité en dépit de l'espace et du temps. L'argent demeure le métal
de référence de l'ornement amazigh mais pas seulement pour les
raisons pratiques évoquées. Il s'agit d'un rôle plus conceptuel
d'appartenance au monde lunaire dont il est le reflet. Car
c'est un
élément décoratif destiné à la femme amazighe, porteuse de la
tradition ancestrale. L'argent est un symbole du cycle lunaire alors
que l'or est le domaine du culte solaire. Par ailleurs, la géométrie
des formes suit les mêmes canons symboliques que ceux des tapis ou
des tatouages. Qu'il soit corail ou verroterie l'apport d'une perle
ou d'un cabochon rouge demeure un trait d'union, figuratif d'un même
sang coulant dans les veines amazighes. Quant aux autres couleurs
éventuelles - le jaune, le vert (et parfois le bleu chez les
Kabyles) – elles stigmatisent le cycle de la nature.
L'avantage
de rassembler autant d'ornements issus d'une multitude d'origines
permet de mieux cerner la particularité culturelle du Maghreb. Car
bien entendu, ce sont ces caractéristiques qui sont à la base de
l'héritage commun, celui du berbérisme, dont l'ancienneté a créé
un moule inaltérable. La symbolique des formes demeure immuable.
L'Islam n'a eu qu'une influence épisodique sur certains ornements.
L'intérêt de ces parures est d'avoir conservé leur sens et leurs
formes ancestrales en témoignage d'une indéniable pérennité
culturelle.
L'aire
géographique couverte.
Les
trois pays du Maghreb ont été présentés tour à tour. Le Maroc,
« pays du soleil couchant » (traduction du terme arabe
magrib)
est représenté dans son intégralité : le Rif, le Moyen et le
Haut Atlas, l'Anti-Atlas et le Sous, le Sud marocain. Les parures en
provenance de l'Algérie comportent surtout le travail d'orfèvrerie
de Kabylie (au nord), de l'Atlas saharien et des Aurès. La Tunisie
est découpée en trois zones : occidentale, orientale et Sud
tunisien. On note la remarque suivante concernant l'orfèvrerie
occidentale tunisienne : « Cette
orfèvrerie porte un riche héritage de l'Antiquité, et plus
précisément de la période punique, puis des productions
byzantines, ottomanes et européennes, dans le registre des motifs ou
en ce qui concerne les procédés de fabrication. »
[catalogue, p.117]
L'exposition
de l'IMA permet d'observer les rapprochements entre par exemple,
l'orfèvrerie des Aurès et celle de la zone montagneuse de l'ouest
tunisien, ou encore de localiser les aires historiques plus
perméables aux influences extérieures : le filigrane ou
l'émail (travail plus spécifique de la Kabylie).
Carte de l'Algérie |
Le
chaînon manquant.
On
peut toutefois regretter qu'il n'y ait pas eu des pièces d'origine
targuie. Car le Sahara algérien est le domaine des Touareg, autre
tribu amazighe d'importance. Or, la sobriété de l'orfèvrerie
targuie rappelle celle des Chaouis de l'Aurès.
On
peut comprendre que l'aire choisie se limite aux trois pays du
Maghreb traditionnel, sans inclure par exemple la région du Fezzan,
en Libye. Toutefois, le fait d'avoir passé sous silence le monde des
Touareg demeure un tant soit peu surprenant et en tout cas
regrettable. Les nomades du désert sont ceux qui ont su conserver le Tifinagh [ⵜⵉⴼⵉⵏⴰⵗ], l'alphabet libyque ancien.
Voir
autant de bijoux et de parures en provenance du Maghreb sous un même
toit est rarissime. Cette collection privée offre un tour d'horizon
utile pour comprendre le monde amazigh. Il faut espérer que d'autres
expositions viendront par la suite étayer la connaissance des
racines historiques du Maghreb.
Christian
Sorand
Cet
article a été publié sur le site INUMIDEN.COM le 05 février
2017 à la rubrique 'Patrimoine' @ La parure féminine maghrébine
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Bibliographie :
Des
Trésors à porter, IMA,
septembre 2016, ISBN : 978-84306-184-4.