I -
ALLIANCE FRANÇAISE : Comment Malraux est devenu
Malraux ? (mardi 26 mai)
« Le
monde de l'art n'est pas celui de l'immortalité, c'est celui de
la métamorphose »,
Antimémoires,
André Malraux
|
Raoul-Marc Jennar |
On
connaît les débuts aventureux d'André Malraux en Indochine et son
implication dans le pillage d'un site Khmer à proximité d'Angkor.
Henri Mouhot (1826-1861) avait redécouvert les ruines
d'Angkor et la description qu'il en fit contribua à le rendre
célèbre.
André
Malraux était investi d'une mission culturelle officielleau
Cambodge. Ce voyage s'est soldé par une déconfiture. Monsieur
Jennar souligne que cet épisode a marqué Malraux pour le reste de
sa vie. Les mois qu'il passera en Indochine contribueront à lui
inculquer une autre vision de la société coloniale d'alors et à
forger sa vision humaniste.
André
Malraux était accompané de son épouse Clara, elle-même
brillante intellectuelle des salons
parisiens. A Phnom-Penh, le
jeune couple visite le musée d'histoire, guidés par le
conservateur. Puis c'est le départ vers le site d'Angkor. Le couple
récupère des œuvres-d'art khmères sur un site non encore protégé.
Le butin est mis dans des caisses prêtes à effectuer le voyage de
retour. A Phnom Penh, la police coloniale, avertie de manière
préventive par le conservateur du musée, découvre le pot aux
roses. Le couple est arrêté et interdit de quitter le territoire
jusqu'à l'ouverture du procés.
André Malraux |
Clara
est d'abord innocentée. André Malraux est condamné par le tribunal
de Phnom Penh (de 1923 à 1924). Il fait appel et sera jugé une
seconde fois au tribunal de Saïgon. Entre-temps, Clara est retournée
à Paris. Elle recueille une pétition signée par un grand nombre
d'intellectuels parisiens pour faire libérer son époux. Le tribunal
de Saïgon, plus clément, mettra fin à la condamnation.
Monsieur
Jennar fait remarquer qu'au début de ce voyage, Clara était celle
dont la perception de la société coloniale révélait une
véritable prise de conscience. L'opinion de son époux demeurait
neutre voire indifférente. Malraux ne montrait aucun intérêt
particulier pour la politique. Or son emprisonnement et l'expérience
vécue au sein de la société coloniale d'alors joueront un rôle
déterminant sur sa personnalité.
A
peine de retour à Paris après Saïgon, André Malraux convainc
Clara de repartir en Indochine où ils créent un journal
anticolonialiste. C'est donc à Saïgon, au contact d'intellectuels
vietnamiens qui cherchent à révoquer les droits spécifiques des
indigènes en instaurant l'égalité, que Malraux met en oeuvre sa
prise de conscience politique. Elle sera déterminante pour son
engagement ultérieur. A cette époque la Chine est en pleine
ébullition. Taxé de « rouge, plus rouge que les Rouges »
par les autorités coloniales, Malraux et Clara seront alors obligés
de quitter l'Indochine après deux ans de séjour entre Cambodge et
Vietnam.
C'est
donc bien en Indochine que la personnalité de Malraux s'est épanouie
en lui conférant des idéaux humanistes et égalitaires.
Les
intellectuels vietnamiens de l'époque que le couple Malraux
côtoyait,
nourris par une éducation française républicaine, ne
cherchaient qu'à réformer le statut des indigènes afin d'obtenir
une égalité de fait. Il n'était pas question d'indépendance. Cela
rappelle le cheminement des intellectuels algériens quelques années
plus tard... D'ailleurs, M. Jennar a fait une parallèle avec
l'attitude bénévolente du Maréchal Lyautey (1854-1934)
envers la société et la culture marocaine. Il séjourna au Maroc de
1912 à 1925 et devint le premier résident général du protectorat.
Notons d'ailleurs que Lyautey, très attaché aux valeurs culturelles
locales, était un proche des idées la romancière Isabelle
Eberhardt (1877-1904) en Algérie.
Prix Goncourt 1933 |
Madame
Sodchuen Chaiprasathna assistait également à ce colloque. Elle
a été professeur de Français à l'université Silpakorn et a écrit
une étude sur André Malraux en langue thaïe afin de mieux faire
connaître l'écrivain français en Thaïlande. Elle a pris la parole
à la fin de la présentation pour parler de son livre. On peut ainsi
le résumer par ce qu'elle dit : « L'étude des
activités d'André Malraux en tant qu'écrivain, critique d'art et
ministre nous montre qu'il est un grand humaniste pour sa foi en
l'art, en la grandeur humaine, en la liberté et en la fraternité. »
II
– ADFE : Peut-on encore croire les Journalistes ?
(vendredi 29 mai)
« Le
journalisme est le règne de l'éphémère et du volatil »,
Bernard
Pivot
|
Ce
type de question couvre un éventail trop vaste pour recevoir
d'emblée une réponse définitive. De telles questions servent
uniquement à titiller l'intérêt sur un sujet déterminé.
Cette
conférence organisée par l'ADFE (Association Des Français de
l'Étranger) se tenait au Thailand Guitar Society. Cela
a permis d'écouter en solo 'le concerto d'Aranjuez' interprété par
un jeune guitariste thaïlandais avant l'ouverture du débat.
Cette
soirée, précédée d'un buffet grec arrosé de vin italien et
préparé par un restaurateur français local, était animée par un
responsable de l'association. Elle a mis en scène deux intervenants
de qualité et des correspondants locaux de la presse française.
L'actualité du moment (conférence internationale sur les Rohingyas
à Bangkok) a empêché un troisième journaliste de presse
d'assister au débat.
Il
y a eu tout d'abord deux personnalités contactées en direct via
Skype : Christian Delporte, historien, et Laurent Mauduit,
fondateur de MEDIAPART.
Christian Delporte |
Coll.Que sais-je? |
Il
en ressort néanmoins – et c'est une perception personnelle – que
la tradition d'indépendance de la presse anglo-saxonne est une
réalité tangible. Le journaliste français est souvent en position
de combattant perpétuel dans un régime de « monarchie
républicaine » décrit par Laurent Mauduit. Cette perception
politique est le résultat d'un régime présidentiel étatique.
Laurent Mauduit |
Ouvrage de L. Mauduit |
Outre
l'affaire Bettencourt, il est apparu plusieurs fois au cours du
débat, que le gouvernement précédent avait, à plusieurs reprises,
essayé d'influencer la presse écrite. Ceci est déjà une réalité
pour la télévision dont certains des journalistes stars en ont pris
pour leur compte. On l'explique par le fait que tous les acteurs de
ce cercle parisien est issu des mêmes écoles et du même milieu
social que les hommes politiques. Il semblerait enfin qu'il y ait eu
un certain consensus entre intervenants et public en faveur d'une
presse dont la mission est de poser des questions et de remettre en
cause dans la ligne de ce quatrième pouvoir dont il est souvent
question.
Il
y avait aussi sur le podium deux correspondants locaux. Carol
Isoux de BFM-TV et Bruno
Philip du Monde.
Chacun
représentait une certaine facette du journalisme puisque Carol Isoux
est freelance et que Bruno Philip est salarié. Cela a permis
d'animer le débat sur le statut de la presse, qui selon Carol
Isoux
continue à se chercher. Bruno Philip a modéré certains points de
vue développés par son collègue Laurent Mauduit. En particulier,
il a témoigné qu'au cours de toute sa carrière ses articles n'ont
jamais été censurés même dans le contexte d'une presse dorénant
aux mains de magnats de la finance. Il a le souvenir d'un seul
exemple où un responsable de l'ancien gouvernement est intervenu
auprès de sa hiérarchie pour un article. Il a aussitôt protesté
et son article a été imprimé comme il l'avait écrit. D'une
manière générale, Bruno Philip partage les idées de Laurent
Mauduit. Il retourne toutefois la question posée aux journalistes en
demandant : 'peut-on encore croire les lecteurs ?'.
Bruno Philip |
Il
y a donc eu un échange de questions fort intéressant venant du
public. Il apparaît clairement que l'usage d'Internet a compliqué
la tâche de la presse. L'interactivité avec des lecteurs ne semble
pas toujours être à la hauteur. Bruno Philip fait remarquer que
beaucoup de lecteurs contemporains font part d'une certaine méfiance
systématique face au politique et à la presse souvent accusée de
connivance. Il insiste d'ailleurs sur la dichotomie entre presse
écrite et télévision. En fait, le danger d'une telle connivance
réside principalement dans le pouvoir économique gravitant autour
du pouvoir politique puisque l'un et l'autre sont souvent d'opinion
identique. L'autre problème abordé a été celui de la tranche
d'âge des lecteurs. Après avoir posé la question, Laurent Mauduit
a répondu qu'aujourd'hui l'âge moyen du lecteur de la presse écrite
est de 60 ans ! Les médias n'ont pas su s'adapter à
l'évolution informatique et aux réseaux sociaux. Cela s'est fait
tardivement. La presse cherche seulement maintenant à reconquérir
un public plus jeune.
La
discussion s'est prolongée dans la soirée, mais à 21h30, il était
temps de reprendre le chemin de retour en métro puisque cela se
passait dans un quartier à la périphérie de Bangkok.
La
semaine a donc été riche de deux conférences très instructives.
La qualité des intervenants a permis d'acquérir une foule de
renseignements précieux, partagés ici sur ce Blog.
Christian
Sorand
Bangkok,
mai 2015
--> L'article du Monde intitulé "Umberto Eco: Que vive le journalisme critique!" tombe à point: Umberto Eco
--> Éditions Grasset
--> Éditions Grasset